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Œuvres de P. Corneille, Tome 07

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ACTE IV.


SCÈNE PREMIÈRE.

SPITRIDATE, ELPINICE.

SPITRIDATE.

Agésilas me mande; il est temps d'éclater.

Que me permettez-vous, Madame, de lui dire?

M'en désavouerez-vous si j'ose me vanter

Que c'est pour vous que je soupire, 1290

Que je crois mes soupirs assez bien écoutés

Pour vous fermer le cœur et l'oreille à tous autres,

Et que dans vos regards je vois quelques bontés

Qui semblent m'assurer des vôtres?

ELPINICE.

Que serviroit, Seigneur, de vous y hasarder? 1295

Suis-je moins que ma sœur fille de Lysander?

Et la raison d'État qui rompt votre hyménée

Regarde-t-elle plus la jeune que l'aînée?

S'il n'eût point à Cotys refusé votre sœur,

J'eusse osé présumer qu'il eût aimé la mienne; 1300

Et m'aurois dit moi-même, avec quelque douceur:

«Il se l'est réservée, et veut bien qu'on m'obtienne.»

Mais il aime Mandane; et ce prince, jaloux

De ce que peut ici le grand nom de mon père,

N'a pour lui qu'une haine obstinée et sévère 1305

Qui ne lui peut souffrir de gendres tels que vous.

SPITRIDATE.

Puisqu'il aime ma sœur, cet amour est un gage

Qui me répond de son suffrage:

Ses desirs prendront loi de mes propres desirs;

Et son feu pour les satisfaire 1310

N'a pas moins besoin de me plaire,

Que j'en ai de lui voir approuver mes soupirs.

Madame, on est bien fort quand on parle soi-même,

Et qu'on peut dire au souverain:

«J'aime et je suis aimé, vous aimez comme j'aime;1315

Achevez mon bonheur, j'ai le vôtre en ma main.»

ELPINICE.

Vous ne songez qu'à vous, et dans votre âme éprise

Vos vœux se tiennent sûrs d'un prompt et plein effet.

Mais que fera Cotys, à qui je suis promise?

Me rendra-t-il ma foi s'il n'est point satisfait? 1320

SPITRIDATE.

La perte de ma sœur lui servira de guide

A tourner ses desirs du côté d'Aglatide.

D'ailleurs que pourra-t-il, si contre Agésilas

Ce grand homme ni moi nous ne le servons pas?

ELPINICE.

Il a parole de mon père 1325

Que vous n'obtiendrez rien à moins qu'il soit content;

Et mon père n'est pas un esprit inconstant

Qui donne une parole incertaine et légère.

Je vous le dis encor, Seigneur, pensez-y bien:

Cotys aura Mandane, ou vous n'obtiendrez rien.1330

SPITRIDATE.

Dites, dites un mot, et ma flamme enhardie....

ELPINICE.

Que voulez-vous que je vous die?

Je suis sujette et fille, et j'ai promis ma foi;

Je dépends d'un amant, et d'un père, et d'un roi.

SPITRIDATE.

N'importe, ce grand mot produiroit des miracles.1335

Un amant avoué renverse tous obstacles:

Tout lui devient possible, il fléchit les parents,

Triomphe des rivaux, et brave les tyrans.

Dites donc, m'aimez-vous?

ELPINICE.

Que ma sœur est heureuse.

SPITRIDATE.

Quand mon amour pour vous la laisse sans amant,1340

Son destin est-il si charmant

Que vous en soyez envieuse?

ELPINICE.

Elle est indifférente, et ne s'attache à rien.

SPITRIDATE.

Et vous?

ELPINICE.

Que n'ai-je un cœur qui soit comme le sien!

SPITRIDATE.

Le vôtre est-il moins insensible? 1345

ELPINICE.

S'il ne tenoit qu'à lui que tout vous fût possible,

Le devoir et l'amour....

SPITRIDATE.

Ah! Madame, achevez:

Le devoir et l'amour, que vous feroient-ils faire?

ELPINICE.

Voyez le Roi, voyez Cotys, voyez mon père:

Fléchissez, triomphez, bravez, 1350

Seigneur, mais laissez-moi me taire.

SPITRIDATE [56].

Venez, ma sœur, venez aider mes tristes feux

A combattre un injuste et rigoureux silence.

ELPINICE.

Hélas! il est si bien de leur intelligence,

Qu'il vous dit plus que je ne veux.1355

J'en dois rougir. Adieu: voyez avec Madame

Le moyen le plus propre à servir votre flamme.

Des trois dont je dépens elle peut tout sur deux:

L'un hautement l'adore, et l'autre au fond de l'âme;

Et son destin lui-même, ainsi que notre sort,1360

Dépend de les mettre d'accord.

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