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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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GOMBERT,
ASSASSIN DU MARI DE SA MAITRESSE.

En compulsant les recueils d'arrêts criminels, on est étonné du grand nombre de forfaits dont la débauche est la source. Ces passions brutales, que l'on décore si improprement du doux nom d'amour, portent habituellement dans le cœur de l'homme une effervescence funeste qui le pousse au crime presque malgré lui, entraîné qu'il est déjà par la jalousie ou le désir de la vengeance. De là tant de meurtres, tant d'empoisonnemens, tant de morts restées mystérieuses, qui portent pour jamais la désolation et le malheur au sein des familles. Tant il est vrai que dès qu'une fois on a franchi le premier degré du vice, on ne sait plus où l'on pourra s'arrêter; heureux encore quand le terme de la carrière n'est pas l'ignominie ou l'échafaud.

Jean-Jacques Gombert, tanneur à Hasbrouck, entretenait, depuis deux ans, un commerce criminel avec Catherine Roucou, femme de Pierre-Jacques Jongkerick, qui habitait la même ville, et qui y vivait de son bien. Gombert ayant trouvé l'occasion de se marier, on pouvait espérer que cet événement serait le terme de cette passion adultère; mais il n'eut d'autre effet que d'éloigner momentanément les deux amans l'un de l'autre.

En effet, peu de temps après, ils renouèrent leurs liaisons coupables. Jongkerick, avant le mariage de Gombert, n'avait pas remarqué ses assiduités auprès de sa femme. Le moindre soupçon n'était pas venu troubler son repos. Jusque là, Gombert avait eu la délicatesse de garder des ménagemens; mais lorsqu'il fut marié, il foula aux pieds toutes les bienséances, et ne permit plus à l'infortuné Jongkerick de croire à la fidélité de sa femme. Ce malheureux époux n'eut même que trop de facilité à acquérir des preuves irrécusables de la débauche de Catherine Roucou.

Jongkerick, indigné, fit des reproches à sa femme, et la menaça de prendre des mesures pour arrêter ses désordres, s'ils continuaient. Mais, au lieu de rentrer en elle-même, cette femme, qui haïssait mortellement son mari, se plaignit à Gombert des reproches et des menaces qu'elle essuyait chaque jour. Alors s'excitant mutuellement, les deux amans conçurent l'horrible projet de donner la mort à Jongkerick.

Ils firent plusieurs tentatives pour l'exécution de leur infernal dessein. Gombert se chargea d'abord de gagner à prix d'argent quelqu'un qui voulût exécuter ce crime; mais n'ayant pu y réussir, il prit la résolution de commettre lui-même cet attentat.

Après avoir passé la soirée du 25 au 26 mai 1777, avec Jongkerick, dans une auberge où ils avaient soupé ensemble, Gombert sortit le premier, et vint se mettre en embuscade dans une grange, où il avait préparé un fléau, instrument du crime qu'il méditait. Jongkerick, dans une parfaite sécurité, revenait tranquillement chez lui. Comme il entrait dans sa cour, Gombert sort de sa cachette, s'élance sur lui, l'accable de coups de fléau, et le laisse pour mort sur la place. Cependant l'homme assassiné recueillit assez de force pour se relever et rentrer chez lui. Il se coucha, sans rien dire à sa femme de ce qui venait de lui arriver, et se contenta de se plaindre d'un violent mal de tête.

Le lendemain, Gombert se rendit de bonne heure chez la Roucou, croyant apprendre, en entrant dans la maison, que Jongkerick était mort; mais il fut étrangement étonné quand il vit qu'il n'en était rien. Il parut constant que ce monstre résolut, dans le moment même, de concert avec son infâme complice, d'arracher la vie à la malheureuse victime échappée aux coups de la veille; et la rumeur publique accusa la femme de s'être chargée de l'exécution du forfait, de s'être approchée du lit de son mari, et de l'avoir étouffé.

Quelques heures après, sortant de sa maison avec des cris et des sanglots, elle annonça à ses voisins la mort de son mari. On crut d'abord sa douleur sincère; mais une mort aussi précipitée fit naître des soupçons qui éveillèrent l'attention de la justice locale. Le ministère public rendit plainte et fit informer; mais n'ayant acquis aucune preuve, la procédure fut suspendue.

Sur ces entrefaites, la veuve Jongkerick, fatiguée d'entendre les reproches indirects qu'on lui adressait au sujet de la mort de son mari, vendit tout son bien, sous prétexte qu'elle voulait se retirer dans un couvent; elle ne conserva qu'un chariot et un chien noir, avec lequel elle partit d'Hazebrouck. Gombert disparut quelques jours après, et rejoignit sa complice à Anvers. Puis ils se fixèrent dans un bourg hollandais situé aux environs de cette ville. Mais leur fuite simultanée ouvrit les yeux aux magistrats de Cassel: le procureur d'office de ce siége fit des perquisitions, et s'informa si l'on n'avait point vu un chariot suivi d'un chien noir, conduit par une femme. Le chien noir, qui était très-grand, avait été remarqué, et les renseignemens que l'on obtint parvinrent à faire découvrir la retraite des coupables.

On obtint des juges du lieu la permission de les arrêter et de les conduire dans les prisons de Cassel, où on leur fit leur procès. Les informations ne les ayant chargés que faiblement, les juges de Cassel, par sentence du 3 octobre 1778, n'ordonnèrent qu'un plus ample informé d'un an, pendant lequel les accusés resteraient en prison.

Le procureur d'office du siége ayant interjeté appel a minima de cette sentence, le parlement de Douai, par arrêt du 16 novembre 1778, condamna Gombert à la question ordinaire et extraordinaire, et ordonna qu'il serait sursis au jugement de la Roucou jusqu'après l'exécution de cet arrêt. Gombert ayant avoué son crime à la torture, un second arrêt condamna la Roucou à la question ordinaire et extraordinaire; mais cette femme, résistant aux tourmens de la question, persista à nier sa complicité avec Gombert.

Par arrêt du 19 novembre 1778, Gombert fut condamné à être rompu vif, et la Roucou, faute de preuves suffisantes, à être renfermée à perpétuité dans une maison de force.


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