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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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LA BERGÈRE AUVERGNATE.

En général, la frivolité des hommes leur fait passer légèrement sur des crimes qui introduisent le désordre et la désorganisation dans le corps social. Cette indulgence funeste qui porte à rire, à plaisanter sur des matières essentiellement sérieuses, puisqu'il s'agit du bonheur ou du malheur d'une foule d'individus, ne dépose nullement en faveur de la moralité de ceux qui en font parade en toute circonstance. Que prouve cette indifférence, si généralement répandue, en matière d'adultère, sinon que nous sommes parvenus à un tel état de corruption, que nous nous en apercevons à peine; ou si nous y pensons quelquefois, comme par ressouvenir, c'est pour évertuer notre malignité contre le voisin, qui souvent se trouve en fonds pour nous rendre la pareille, avec intérêts.

Parmi les nombreux délits dont le libertinage est la source, le viol est aussi le point de mire des sarcasmes et des quolibets de ces messieurs. Le viol est impossible, s'écrient-ils; et ils proclament hautement cette opinion insultante pour tout le sexe, qu'une femme n'a jamais été violée que lorsqu'elle l'a bien voulu. Comme si l'on ne devait pas tenir compte des circonstances qui souvent précèdent et accompagnent ce crime!

Heureusement le moraliste et le législateur, moins frivoles que les masses des nations, ont vu cette question de haut, ont reconnu qu'elle était inhérente aux bases de la société, qu'elle intéressait singulièrement la félicité des familles, et qu'il importait par conséquent de l'entourer de toute la protection des lois. Aussi le viol, lorsqu'il est attesté par des preuves irrécusables, conduit à l'échafaud le forcené qui s'en est rendu coupable.

Une jeune fille, nommée Jeanne Delaste, habitait avec sa famille un village de la paroisse d'Auzon, dans le voisinage de la ville de Riom en Auvergne. Jeanne était douée d'une beauté remarquable, et la fraîcheur de la jeunesse ajoutait encore à l'éclat des charmes de sa figure. Quoique jeune et dans l'âge des faiblesses du cœur, elle avait conservé sa vertu, et tous les villageois des environs la citaient comme un exemple de sagesse.

Depuis long-temps un jeune homme, fils d'un laboureur de la même paroisse, nommé Benoît Bard, s'attachait à ses pas, et l'obsédait de ses galantes poursuites. N'ayant pu, malgré tous ses soins, séduire l'objet de ses désirs, ce jeune homme, né avec des passions vives et brutales, résolut d'employer la violence pour triompher de Jeanne Delaste. Sachant que cette jeune fille conduisait le troupeau confié à sa garde dans un pacage éloigné de toute habitation, il saisit un moment où les champs voisins étaient absolument solitaires pour consommer son crime.

Renonçant aux manières caressantes, aux propos doucereux à l'usage des amans, ce jeune débauché aborde sa victime avec un air menaçant. Il lui dit, en proférant les juremens les plus affreux, qu'il va lui donner la mort si elle ne consent sur l'heure à couronner ses désirs. La bergère n'est point effrayée de ses menaces; elle défend sa vertu avec courage; elle se déclare prête à souffrir plutôt la mort que le déshonneur. Irrité de tant de résistance, Benoît Bard saisit Jeanne Delaste, la terrasse, et l'accable de coups. L'infortunée ayant alors perdu l'usage de ses sens, le villageois brutal assouvit sa féroce passion. Aussitôt que Jeanne fut revenue à elle-même, elle fit retentir l'air de ses cris. Des laboureurs accoururent, et trouvèrent le scélérat qui insultait encore la victime de sa brutalité. Indignés d'une conduite aussi odieuse, ils accompagnèrent la malheureuse bergère chez le magistrat, vengeur naturel de l'innocence outragée. A l'instant même plainte fut rendue contre le coupable. Sur l'information, Benoît Bard fut décrété de prise de corps, et d'après les preuves qui en résultèrent, les juges de la sénéchaussée de Riom le condamnèrent à être pendu.

Par arrêt du 19 avril 1780, la sentence des premiers juges fut confirmée, et Benoît Bard fut envoyé à Riom pour y subir la peine qu'avait méritée son crime.


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