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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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JEANNE-MARIE-THÉRÈSE JUDACIER,
PARRICIDE.

La débauche porte souvent les fruits les plus funestes. Ainsi que nous avons eu lieu de le faire remarquer plus d'une fois, elle sert fréquemment de premier échelon pour descendre aux crimes les plus dénaturés, et l'entraînement de la descente n'est que trop rapide.

Jeanne-Marie-Thérèse Judacier était brodeuse de son état. Elle habitait la ville de Lyon avec son père, sa mère et sa sœur aînée. Son goût pour les plaisirs dérangea sa conduite; elle devint paresseuse, et se vit réduite aux expédiens pour satisfaire ses besoins dépravés. Cette situation lui inspira le désir de recueillir promptement et sans partage la succession de ses père et mère, et elle conçut l'horrible dessein de les empoisonner ainsi que sa sœur aînée.

En conséquence, elle fait choix du poison le plus actif, et se présente chez plusieurs épiciers, demandant de l'arsenic. On refuse de lui en vendre. Ces refus auraient dû la faire rentrer en elle-même, s'il fût resté au fond de son cœur quelque peu de cette sensibilité qui met l'homme au-dessus de la brute. Mais rien ne fut capable de l'arrêter. Après s'être adressée vainement à plusieurs marchands, ses recherches la conduisirent chez les sieurs Buisson et Bellet, qui, dans les premiers jours d'octobre 1779, lui vendirent pour deux sous d'arsenic, qu'elle leur avait demandé, sous prétexte de détruire les rats, qui, disait-elle, mangeaient le linge que sa mère, blanchisseuse de son métier, était obligée d'avoir chez elle.

Sa mère trouva ce paquet et lui demanda ce que c'était que cette poudre empaquetée avec tant de soin. Jeanne répondit que c'était de l'alun pour nettoyer ses boucles. La mère Judacier trouva mauvais que sa fille fût si recherchée dans ses ajustemens, et qu'elle se mît en dépense pour une pareille frivolité; et dans sa mauvaise humeur, elle jeta le poison.

Ce nouvel obstacle et la remontrance que Jeanne essuya à cette occasion ne firent qu'irriter cette fille atroce. Le 9 du même mois, elle retourna chez les mêmes marchands, qui, pour le même prix, lui livrèrent une seconde dose d'arsenic. Elle prit ses précautions pour qu'on ne lui enlevât pas ce nouveau paquet.

L'occasion d'en faire l'usage auquel elle le destinait se présenta peu de jours après. Sa mère lui commanda de préparer une soupe aux choux. Jeanne, épiant le moment propice à son infernal dessein, obéit avec joie. Puis, quand la soupe fut préparée, elle engagea sa sœur aînée à la servir, voulant par cette précaution éloigner d'elle les soupçons d'empoisonnement que son crime allait faire naître avec raison. Elle s'imagina que sa sœur ayant vu préparer la soupe, et ne s'étant point aperçue qu'on y eût rien mis d'étranger aux ingrédiens qui devaient la composer, pourrait affirmer que les symptômes qui ne pouvaient manquer de se manifester avaient une autre cause que le poison; ou du moins que, s'il y avait du poison, le hasard seul l'avait sans doute introduit soit dans les choux, soit dans un des assaisonnemens.

Jeanne prit encore une autre précaution; ce fut de se tenir éloignée de la table, sous prétexte de vaquer à divers soins du ménage. Le père n'était pas à la maison, et l'on ignorait l'heure à laquelle il devait rentrer. Il était sorti pour les affaires de la famille; il était juste qu'à son retour il trouvât sa soupe préparée. Jeanne, sa fille, eut l'attention de lui en conserver dans un pot. Trois personnes se mirent à table, la femme Judacier et sa fille aînée, avec la femme Perichon. A peine chacune d'elles eut-elle mangé sa portion, que les premiers effets du poison commencèrent à se manifester par des symptômes effrayans. La femme Judacier succomba le jour même, malgré les secours qu'on lui administra. Les soins furent moins infructueux à l'égard des deux autres, qui étaient plus jeunes et plus vigoureuses; mais elles en furent long-temps et dangereusement malades, et leur santé en fut altérée pour leur vie.

Les circonstances qui avaient précédé cet accident ne laissèrent pas lieu de douter de quelle main partait le crime. Jeanne fut arrêtée sur-le-champ. Son procès lui fut fait; et par sentence de la sénéchaussée de Lyon, du 30 novembre 1779, elle fut déclarée atteinte et convaincue des faits qui viennent d'être exposés, et condamnée à faire amende honorable en chemise, nu-tête, la corde au cou, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, au-devant de la principale porte de l'église primatiale de Lyon, où elle serait conduite par l'exécuteur de la haute-justice, ayant écriteau devant et derrière portant ces mots: Empoisonneuse parricide. Elle devait avoir ensuite le poing coupé par le bourreau, et être menée sur la place des Terreaux pour y être brûlée vive et ses cendres jetées au vent.

Par arrêt du 12 février 1780, cette sentence fut confirmée, et l'exécution en fut renvoyée devant le lieutenant-criminel de Lyon.

Quant à l'infraction commise par les sieurs Buisson et Bellet aux règlemens et arrêts concernant la vente des poisons, elle fut punie par une amende, avec injonction d'être plus circonspects à l'avenir.


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