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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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MARIE GÉLIBERT,
ACCUSÉE D'AVOIR POIGNARDÉ SON MARI.

Une femme qui ose lever le poignard de l'assassin sur son mari est un monstre que la justice doit immoler à la nature et à l'humanité outragés. Mais plus un attentat pareil inspire d'horreur, plus on doit se montrer difficile sur les preuves d'un forfait aussi atroce.

De simples présomptions, de légers indices ne doivent point suffire; il faut des preuves évidentes.

Marie Gélibert, née dans la classe ouvrière, eut quatre enfans d'un premier mariage qui avait été aussi heureux que possible, au sein du travail et de la médiocrité. Restée veuve à l'âge d'environ quarante ans, et ses enfans étant encore fort jeunes, elle chercha un nouvel appui dans un second mariage, et crut faire son bonheur et celui de sa famille en accordant sa main à Eustache Allier.

Cette pauvre femme fut cruellement trompée dans son espérance. Cet Allier était d'un naturel féroce et pervers. D'abord soldat, et puis déserteur, il s'était rendu bientôt redoutable dans toute la contrée. Connu pour être capable de tout entreprendre et de tout oser, on le fuyait comme un homme extrêmement dangereux. Il était sans cesse en querelle, et cette conduite lui avait attiré un grand nombre d'ennemis.

Marie Gélibert eut beaucoup à souffrir des emportemens de cet homme violent. Il la maltraitait continuellement. Mais toujours patiente et portée à la douceur, Marie Gélibert se contentait de représenter à son mari, avec autant de ménagement qu'il était possible, l'injustice de ses procédés et de sa mauvaise conduite. Mais cette douceur ne pouvait désarmer l'humeur violente d'Allier. Il brisa tout ce qui se trouva sous ses mains, il excéda sa femme et ses enfans; et, après avoir enlevé tout ce qu'il pouvait transporter, il disparut de Montbasin.

Marie Gélibert crut avoir acquis le repos, la sûreté de sa vie et celle de ses enfans qu'elle nourrissait du travail de ses mains. Mais elle n'était point arrivée au terme de ses maux. Allier l'avait quittée en lui jurant, avec les sermens les plus terribles, de lui arracher la vie ainsi qu'à trois de ses enfans.

Une nuit, Marie Gélibert dormait tranquillement au milieu de ses enfans, lorsqu'elle est éveillé par le bruit de sa fenêtre, que l'on s'efforce d'enfoncer; elle crie, les voisins accourent, Allier s'enfuit.

Cette première tentative est bientôt suivie d'une seconde. Le 11 octobre 1777, il se rend à Montbasin, va droit à la maison de Marie Gélibert, entre sans être aperçu, s'élance sur sa femme avec fureur, la saisit au cou, et fait des efforts pour l'étrangler. Aux cris de Marie Gélibert, son fils aîné, âgé de quatorze ans, monte à la chambre, voit sa mère succombant sous les coups de son beau-père. Il veut la secourir; Allier renverse sa femme presque mourante, se jette sur l'enfant, le serre entre ses bras afin de l'étouffer, et tombe avec lui. Les voisins accourent au bruit, arrachent l'enfant étendu sous Allier, et emmènent ce dernier.

Le lendemain, Marie Gélibert apprend avec étonnement que son mari est mort de plusieurs blessures; qu'Étienne Allier, son frère, a rendu plainte en fait d'assassinat contre des personnes qu'il ne voulait pas nommer. Sûre de son innocence, elle ne pense pas que la procédure puisse être dirigée contre elle. Dans cette trompeuse sécurité, elle est enlevée par des cavaliers de la maréchaussée, qui la conduisent dans les prisons de Montpellier.

Marie Gélibert, interrogée, répond à toutes les questions avec cette naïveté et cette fermeté qui accompagnent presque toujours l'innocence. On la confronte avec les témoins. Tous jurent ne lui avoir pas vu donner des coups de couteau à Allier. Quelques-uns disent l'avoir vue sortir ensanglantée de sa maison, après l'action qui s'y était passée, mais ils ne s'accordent pas sur quelques détails. D'autres affirment que son mari, avant de mourir, l'a désignée comme l'auteur de son meurtre; mais ces derniers se contredisent mutuellement, et sont démentis par un seul témoignage digne de foi.

Néanmoins, après la consommation des procédures, et malgré cette absence totale de preuves, la malheureuse Gélibert fut condamnée, par le premier juge, à être pendue.

Sur l'appel de cette sentence, l'infortunée fut transférée dans les prisons de Toulouse; et après de nouvelles angoisses, de nouveaux tourmens, son innocence triompha devant le parlement de cette ville, qui, par arrêt du 4 septembre 1780, infirma la sentence du premier juge, et mit l'accusée hors de cour.


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