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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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L'INTRIGANTE,
OU L'AFFAIRE DU COLLIER.

La célébrité de ce procès, le rang illustre des principaux personnages qui y figurèrent, l'audace et l'habileté des manœuvres qui y donnèrent lieu, les nuages que la calomnie se plut à répandre à ce sujet sur la conduite d'une reine infortunée, les injustes préjugés qui tiennent encore à cet égard la place de la vérité, nous font un devoir de narrer sommairement, mais avec le plus de sincérité possible, les détails les plus remarquables de cet événement qui, bien que comique dans quelques scènes, ne laisse pas d'avoir produit de tristes conséquences, et par le scandale qu'il causa, et par le voile mystérieux dont l'avait enveloppé le génie de l'intrigue.

Au mois de septembre 1781, M. le cardinal de Rohan vit pour la première fois Jeanne de Valois, de Saint-Remi de Luze, épouse du sieur de Lamotte. Cette femme fut présentée au prélat par la dame de Boulainvilliers.

Madame de Lamotte sut inspirer de l'intérêt au cardinal par le tableau de la misère dans laquelle elle était plongée et par la confidence de son illustre origine. Elle en obtint des secours à diverses époques; et même il eut la générosité de la cautionner pour des sommes assez considérables. Les dépenses auxquelles elle se livrait n'était point en harmonie avec les ressources dont elle pouvait disposer. On ne lui connaissait que les bienfaits du cardinal et une pension de huit cents livres qui, vers la fin de 1783, fut portée à quinze cents livres. Mais les besoins furent si pressans au mois d'avril 1784, que madame de Lamotte sollicita et obtint, comme une grâce, la permission d'aliéner sa pension et celle de son frère. Elle reçut six mille livres pour la première qui était de quinze cents livres, et trois mille pour la seconde qui était de huit cents livres seulement.

Ces faibles ressources étant épuisées, elle conçut les plans les plus vastes pour améliorer son sort. D'abord, elle mit tout en œuvre pour faire croire dans le monde qu'elle jouissait du plus grand crédit à la cour, et, par ce moyen fit une foule de dupes qui lui payaient ses services futurs, et qu'elle repaissait de chimériques espérances. Elle ne craignait pas de compromettre le nom de la reine dans toutes ses spéculations d'intrigue. Elle répandait partout, avec une sorte de mystère, que cette princesse, touchée de ses infortunes, lui avait ouvert accès auprès de sa personne; qu'elle la recevait en secret, qu'elle l'honorait des marques de sa bonté; qu'elle allait bientôt lui faire restituer des terres du chef de sa famille, et qu'elle mettait à sa disposition toutes les faveurs, toutes les grâces. La conséquence obligée de ces artificieuses vanteries était d'aller partout offrant et vendant son crédit; à l'entendre, elle ne désirait rien tant que se rendre utile aux malheureux. Pour inspirer plus de confiance en ses paroles, elle osait montrer mystérieusement des lettres à son adresse; elle en faisait remarquer, en commentait les expressions. Ainsi, pour accréditer ses impostures, elle commettait des faux.

Le cardinal de Rohan y fut trompé comme tant d'autres. Madame de Lamotte savait qu'il était en disgrâce, et que cette défaveur lui pesait beaucoup; elle s'engagea à négocier sa paix avec la souveraine; et comme le prélat paraissait douter qu'elle jouît d'un crédit aussi étendu; comme il refusait d'y croire, elle lui présenta de fausses lettres, dont l'effet était d'autant plus certain qu'elle savait qu'il ne connaissait pas assez l'écriture de la reine pour en faire la comparaison. A la vue de ces lettres, le cardinal fut ébranlé; il était loin de soupçonner l'ingratitude et l'imposture de madame de Lamotte. Mais enfin les délais qu'elle mettait à l'exécution de ses promesses, ayant fait renaître des doutes dans l'esprit du cardinal, elle conçut une trame dont les fils se croisaient d'une manière si compliquée, qu'il était impossible de ne pas s'y laisser prendre.

La reine se promenait quelquefois, pendant les belles soirées d'été, dans les jardins de Versailles, suivie de plusieurs personnes de sa maison. Trouvez-vous dans les jardins, dit la dame de Lamotte au cardinal de Rohan, quelque jour peut-être? Vous aurez le bonheur d'entendre la reine elle-même confirmer de sa bouche la consolante révolution que j'entrevois pour vous. Le cardinal, mû plutôt par le désir de rentrer en grâce que par l'espoir de réussir, goûta l'avis de madame de Lamotte, et commença ses promenades nocturnes dans les jardins de la cour. Un soir, vers le commencement du mois d'août 1784, à onze heures, la dame de Lamotte vient à lui, et lui dit avec mystère: La reine permet que vous approchiez d'elle. Il l'écoute avec ravissement; il s'avance vers une personne dont la tête était enveloppée d'une coiffe, et que, dans sa fausse persuasion, il croit être la reine. La dame mystérieuse se tourne vers lui, et il est enchanté d'entendre ces paroles: Vous pouvez espérer que le passé sera oublié. A peine elles sont prononcées, qu'une voix annonce Madame et madame la comtesse d'Artois. Le cardinal se retire en exprimant sa profonde et respectueuse reconnaissance, rejoint la dame de Lamotte, et sort des jardins avec elle, pénétré de satisfaction et aveuglé sans retour. Dès ce moment, il est séduit, fasciné, enivré; dorénavant il croira tout, exécutera tout, n'hésitera sur rien; il est persuadé que la reine vient de lui parler, que madame de Lamotte est sa confidente; il est prêt à exécuter tous les ordres qui lui seront transmis de la part de sa souveraine.

Madame de Lamotte ne tarda pas à exploiter la situation d'esprit où le cardinal se trouvait par suite de son manége. Dans le courant du même mois, elle imagina de demander un prompt secours de soixante mille livres pour des infortunés à qui elle savait, disait-elle, que la reine s'intéressait; et le baron de Planta lui apporta cette somme de la part du cardinal. En novembre, elle fit demander cent mille livres pour une même destination; et le cardinal de Rohan, qui était alors à Saverne, envoya de suite des ordres pour qu'on les lui comptât.

Tout-à-coup la dame de Lamotte, qui jusque là avait été plongée dans la plus profonde détresse, achète de l'argenterie, des bracelets, des brillans. D'un autre côté, son mari fait l'acquisition d'une voiture, de chevaux, prend trois nouveaux domestiques, les emmène à Bar-sur-Aube, et y fait bâtir une maison de dix-huit à vingt mille livres.

Enhardie par le succès de ses deux premières demandes, madame de Lamotte entreprit une manœuvre plus importante. Elle était assurée que rien n'entraverait ses projets. Mais des événemens imprévus pouvaient survenir et dessiller les yeux; il fallait donc profiter des instans. Elle pensa à un fameux collier qui était depuis quelque temps entre les mains des joailliers de la couronne, et conçut le projet de le faire passer dans les siennes.

Vers la fin du mois de décembre, le sieur Hachette se rencontre avec les sieurs Boëhmer et Bassange, joailliers de la couronne; il leur parle de leur collier. Il se trouve qu'ils ne l'ont pas encore vendu, et qu'ils ont inutilement cherché à s'en défaire; ils désirent trouver des protecteurs à la cour qui puissent leur procurer la vente de ce bijou précieux. Le sieur Hachette leur dit qu'il ne connaît personne; mais son gendre, ajoute-t-il, M. de Laporte, avocat, a des liaisons avec une dame honorée des bontés de la reine.

Cette dame n'était autre que madame de Lamotte. Les joailliers prient le sieur Hachette de les recommander à une personne d'un aussi grand crédit. Celui-ci s'y prête volontiers; il députe son gendre à la dame de Lamotte. D'abord celle-ci feint d'hésiter; elle finit par demander qu'on lui apporte le collier. Les joailliers lui présentent ce merveilleux joyau, le 29 décembre 1784. «Sans la répugnance qu'elle éprouve, leur dit-elle, à se mêler de ces sortes d'affaires, elle leur rendrait volontiers service.» Pourtant, malgré cette formule de refus, elle leur laissa entrevoir quelques espérances.

Un mois ne s'était pas encore écoulé qu'elle fit mander les joailliers. C'était le 21 janvier 1785. Elle leur fit voir des espérances plus prochaines, leur annonça que la reine désirait acheter le collier, et qu'un grand seigneur serait chargé de traiter cette négociation pour sa majesté. Elle les invita à prendre avec ce grand seigneur toutes les précautions possibles. M. de Laporte, qui le sut le lendemain, soupçonna qu'il s'agissait du cardinal de Rohan, et marqua à la dame de Lamotte son étonnement. «Par mon crédit, répondit-elle, il n'est plus dans la disgrâce

Le 24 janvier, les joailliers reçurent à sept heures du matin la visite des sieur et dame de Lamotte, qui venaient encore leur recommander de prendre leurs précautions, et leur annoncer que le collier serait acheté pour la reine, et que le négociateur ne tarderait pas à paraître.

Pour déterminer le cardinal à cette démarche, la dame de Lamotte lui avait dit que la reine désirait acheter ce collier et entendait régler les conditions; et elle lui avait même montré des lettres, de sorte qu'il ne vit là qu'une occasion précieuse de manifester à sa souveraine son respect et son dévouement.

Le cardinal se rendit donc chez les joailliers. Ceux-ci, après lui avoir montré plusieurs bijoux, ne manquèrent pas de lui présenter la riche parure. Il en demanda le prix; ils répondirent qu'elle avait été estimée un million six cent mille livres. Il manifesta alors l'intention de traiter non pour lui-même, mais pour une personne qu'il ne nomma pas, et il se retira. Quelques jours après, le cardinal leur montra des conditions écrites de sa main. D'après ces conditions, le collier devait être estimé; les paiemens devaient être effectués en deux ans, de six mois en six mois; on pourrait consentir à des délégations; et il fallait, en cas d'acceptation de la part de l'acquéreur, que le collier fût apporté le 1er février au plus tard. Les joailliers acceptèrent et signèrent les conditions; et le cardinal sortit, sans avoir nommé personne. Il remit à la dame de Lamotte cet écrit revêtu de l'acceptation des joailliers pour le faire passer sous les yeux de la reine. Deux jours après, elle le remit au cardinal, portant en marge l'approbation de chaque article, et signé Marie-Antoinette de France.

Muni de ces approbations, il avertit les joailliers que le traité était conclu, et ceux-ci s'empressèrent de lui livrer le collier le 1er février, suivant la convention. Il leur déclara alors que cette acquisition était faite pour le compte de la reine, et leur écrivit, le même jour, que l'intention de sa majesté était que les intérêts de ce qui serait dû après le premier paiement, fin d'août, courussent et leur fussent payés successivement avec les capitaux jusqu'à parfaite libération.

Ce collier passa bientôt dans les mains de la dame de Lamotte. Le cardinal le lui porta à Versailles. «La reine attend, lui dit-elle, cela lui sera remis ce soir.» Quelques instans après, parut un homme qui s'était fait annoncer de la part de la reine. Le cardinal, par discrétion, se retira; l'homme remit un billet à la dame de Lamotte. C'était un ordre de remettre la boîte au porteur. La dame de Lamotte le montra au cardinal; et l'on remit la boîte à l'homme, qui disparut. Le vol était consommé.

Le cardinal était dans le ravissement; il avait chargé un de ses gens d'aller le lendemain à Versailles pour examiner la mise de la reine; mais dans son rapport le messager n'eut point à lui parler du collier. Cependant plusieurs mois s'étant passés sans que la reine eût porté cette parure, le cardinal commençait à s'en étonner; mais la dame de Lamotte avait toujours en réserve des ruses et des prétextes pour expliquer ces délais. Enfin un jour de la fin de juin que le cardinal était plus pressant sur les motifs que la reine pouvait avoir de différer ainsi de faire usage de son collier, elle lui dit sans hésiter: «Je vais vous instruire du véritable motif; le collier doit être estimé si le prix d'un million six cent mille livres paraît trop fort: telles sont les conventions écrites. La reine trouve en effet que ce prix est excessif; il faut donc ou le diminuer ou faire l'estimation. Jusque là elle ne portera pas le collier.»

Le cardinal alla sur-le-champ en parler aux joailliers. Ceux-ci consentirent à ne recevoir que un million quatre cent mille livres ou le prix de l'estimation, au choix de la reine. La dame de Lamotte, à qui ce consentement fut transmis, montra quelques jours après au cardinal une lettre portant que la reine garderait le collier, et que, contente de la réduction, elle ferait payer aux joailliers sept cent mille livres, au lieu de quatre cent mille livres, à l'époque de la première échéance. Le terme approchait. Les six mois expiraient le 31 juillet. Le cardinal se hâta d'instruire les joailliers de la dernière décision, et se plaignit, comme il l'avait déjà fait plusieurs fois, de ce qu'ils avaient négligé de présenter leurs très-humbles remercîmens à la reine. Sur ce reproche un peu pressant, les joailliers adressèrent à la reine une lettre de remercîment.

Cependant, comme on doit bien le penser, le précieux collier était demeuré entre les mains de madame de Lamotte. Elle s'en servit d'abord pour payer ses nombreux créanciers, puis, elle prit un train plus en harmonie avec sa nouvelle fortune. Mais pour subvenir à toutes ces dépenses, elle se mit à vendre le collier en détail. Il fut prouvé qu'elle vendit au sieur Regnier, vers cette époque, pour vingt-sept mille cinq cent quarante livres de diamans, et qu'elle lui en donna à monter, pour elle, pour la valeur de quarante à cinquante mille livres. En juin, elle lui en porta d'autres d'une valeur de seize mille livres. En mars, le sieur Pâris, joaillier, lui en avait acheté pour trente-six mille livres. Vers le commencement d'avril, le sieur de Lamotte sortit de Paris, passa en Angleterre, arriva à Londres, s'y montra chargé de diamans, et étonna tout le monde par son opulence. Des mensonges lui servirent à expliquer cette richesse. Tantôt c'était la succession de madame sa mère qui portait tous ces diamans en pièce d'estomac; tantôt c'étaient des présens dont sa femme était honorée par la reine; tantôt c'était le prix du crédit dont elle jouissait à la cour; et il n'était venu vendre ces diamans en Angleterre que dans la crainte qu'en France la circulation du commerce n'en reportât quelques-uns dans la main de ceux qui les lui avaient donnés. En tous lieux et à tous propos le nom de la reine de France était dans la bouche de cet homme. Il vendit pour plus de deux cent quarante mille livres de diamans, et en laissa pour soixante mille livres à monter chez le sieur Gray, bijoutier à Londres.

La dame de Lamotte, de son côté, préparait tout le monde, à Paris, au retour de son mari, en publiant qu'il avait fait des gains considérables dans les paris pour les courses. Lamotte revint au commencement de juin. Le banquier Perregaux lui paya une lettre de change de cent vingt-deux mille livres, tirée de Londres. Il afficha le plus grand luxe; il rapporta des perles, des bijoux; il ramena chevaux, livrée, équipage, bronzes, cristaux, statues; et l'écrin de sa femme n'était pas estimé moins de cent mille livres.

Néanmoins le dénoûment approchait. On touchait à l'époque fatale du premier paiement. La dame de Lamotte vint annoncer au cardinal que la reine avait disposé des sept cent mille livres destinées aux joailliers pour le 31 juillet; que le paiement ne s'en ferait que le 1er octobre, mais que les intérêts seraient acquittés. Ce retard étonne, contrarie le cardinal, mais il ne soupçonne point encore la fraude. Cependant il a occasion de voir de l'écriture de la reine; elle ne ressemble nullement à celle que lui a montrée la dame de Lamotte. Il fait venir cette femme, lui fait part de ses craintes. Celle-ci, loin d'être émue, jure que le collier est parvenu à la reine. «Comment pourriez-vous en douter? lui dit-elle; je dois vous remettre dans deux jours, de sa part, trente mille livres pour le paiement des intérêts.»

En effet, elle apporte, au jour dit, la somme annoncée; et le cardinal, qui était persuadé que cette femme n'avait rien, se trouve complètement rassuré. La somme est remise aussitôt aux joailliers, qui en donnent quittance sur le principal, au nom de la reine.

La dame de Lamotte employa toute la souplesse, toute la duplicité de son esprit à prolonger l'erreur du cardinal. Mais quand elle vit arriver le moment où l'orage ne pouvait manquer d'éclater, entrevoyant les dangers qui la menaçaient, elle fit une dernière démarche qui devait tellement le compromettre, qu'on ne pût faire autrement que de le regarder comme le complice de ses fourberies. Elle se présenta chez lui, disant qu'elle avait des ennemis, qu'elle courait risque d'être arrêtée d'un jour à l'autre, qu'elle le priait de lui donner un asile dans son hôtel. Le cardinal hésita quelque temps; il soupçonnait quelque affectation de la part de madame de Lamotte; mais à la fin ne voyant qu'une bonne action à faire, il accorda l'asile sollicité. Elle entra le 4 août, avec son mari, dans un petit appartement de l'hôtel; il ne leur en fallait pas davantage; ils en sortirent le lendemain, et partirent le 6 pour Bar-sur-Aube. Ce qu'ils croyaient avoir le plus à redouter, c'était la poursuite du cardinal; cette démarche qu'ils venaient de faire les en mettait à l'abri; il était pris dans le piége; lorsqu'il viendrait à découvrir le vol, il ne lui resterait plus que deux ressources, payer et se taire. C'est ainsi que la fourberie la plus raffinée avait combiné son plan: voilà comme ce plan fut renversé.

Les joailliers, alarmés des délais qu'on leur imposait, présentèrent un mémoire au roi le 12 août, et un autre au ministre le 23; ils y racontaient les faits, et déclaraient qu'ayant vu, le 3, la dame de Lamotte, elle leur avait annoncé que les approbations étaient fausses, et leur avait dit de s'adresser au cardinal, qui était bien en état de payer. On rapporte le fait différemment pour les détails. Le 15 août 1785, jour de la fête de la reine, cette princesse vit arriver près d'elle les deux joailliers Boëhmer et Bassange, qui lui réclamèrent un million six cent mille livres pour le prix d'un collier de diamans. Elle déclara aussitôt qu'elle n'avait jamais vu cette parure, ni même songé à faire son acquisition. Les joailliers dirent qu'ils l'avaient remis au cardinal de Rohan, chargé de traiter pour sa majesté. Indignée de l'abus qu'on avait osé faire de son nom, la reine alla se plaindre au roi et demander justice. Le monarque consulta le garde des sceaux et M. de Breteuil, qui furent d'avis qu'on arrêtât le cardinal; mais la reine obtint qu'il fût entendu auparavant. Dès que le cardinal se présenta: «Avouez, lui dit la reine, si ce n'est pas la première fois, depuis quatre ans, que je vous parle.» Le cardinal en convint, et avoua qu'il avait été trompé par une intrigante nommée de Lamotte.

En sortant du cabinet du roi, le cardinal fut arrêté et conduit à la Bastille. On ne tarda pas à arrêter aussi la femme de Lamotte. Le roi attribua, par des lettres-patentes, au parlement de Paris, la connaissance de toute cette affaire. A peine l'instruction était-elle commencée, qu'on arrêta à Bruxelles une femme nommée Leguay d'Oliva, et qu'on la conduisit à la Bastille. Elle comparut devant les magistrats, toute éplorée, et répétant: «C'est moi; j'ai servi d'instrument à la tromperie, sans en connaître la noirceur; c'est moi, dis-je, il m'a été commandé, il m'a été payé par la dame de Lamotte.» C'était cette malheureuse qui, à l'instigation des Lamotte, avait joué le personnage de la reine, en paraissant à minuit dans le parc de Versailles, où, comme nous l'avons vu, elle avait adressé quelques mots au cardinal.

La femme de Lamotte qui prenait le nom de Valois, et qui, en effet, descendait d'un fils naturel de Henri II, avoua dans ses interrogatoires qu'elle n'avait jamais été présentée à la reine. Il fut prouvé que, depuis la remise du collier entre ses mains, elle était passée subitement de l'indigence à un luxe extrême; que son mari avait vendu à Londres des diamans pour des sommes considérables; qu'elle-même avait fait des ventes de ce genre à Paris; qu'enfin elle et son mari, aidés de quelques agens subalternes, avaient mené toute cette intrigue, et étaient les seuls auteurs des fausses lettres et écritures qui avaient servi à tromper le cardinal.

Le parlement, par arrêt du 31 mai 1786, déchargea le cardinal de Rohan de toute accusation, mit hors de cour la femme d'Oliva, condamna la femme de Lamotte à la marque, et à une détention perpétuelle à la Salpêtrière. Le sieur de Lamotte, contumax, fut condamné aux galères à perpétuité, et le nommé Reteaux de Villette, l'un des complices de cette intrigue, au bannissement perpétuel.

La femme de Lamotte subit sa condamnation; mais elle parvint à s'évader de la Salpêtrière, et se réfugia à Londres, ou elle périt quelques années après, en se précipitant d'une croisée pour échapper aux poursuites de ses créanciers qui menaçaient sa liberté; quant au cardinal de Rohan, au moment même où la cour venait de l'absoudre, il reçut une lettre de cachet qui l'exilait à Saverne; il fut aussi privé de la dignité de grand-aumônier de France.

Tel est le précis de ce procès fameux, qu'il eût été plus sage d'étouffer, puisqu'il a donné lieu à tant de conjectures calomnieuses et tellement accréditées, qu'aujourd'hui même où cette affaire est claire comme la lumière du jour le plus pur, on ne saurait parler du collier devant une foule de personnes prévenues, ou mal instruites des faits, sans provoquer d'injustes anathèmes contre la mémoire de la reine Marie-Antoinette. C'est pour contribuer à redresser, autant qu'il est en nous, cette erreur populaire, et uniquement dans l'intérêt de la vérité et de la justice, que nous avons donné cet article. L'innocence et le malheur doivent être sacrés pour tous les partis.


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