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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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BRIGIDE BALLET,
OU LA FILLE DÉNATURÉE.

La piété filiale est un des plus purs sentimens dont la nature ait doté le cœur de l'homme. Ce sentiment est un mélange heureux de tendresse, de reconnaissance, de dévouement et de respect, que des enfans bien nés se plaisent à manifester en toutes occasions aux auteurs de leurs jours. Le vertueux Ducis en était bien pénétré quand il a fait dire à l'un de ses personnages tragiques:

On remplace un ami, son amante, une épouse,
Mais un vertueux père est un don précieux
Qu'on ne tient qu'une fois de la bonté des Dieux.

Par un effet de ce sentiment, presque inné, nos parens eussent-ils les plus grands torts à notre égard, eussions-nous à nous plaindre de leurs injustices, de leurs mauvais traitemens, il est une limite que rien de leur part ne doit nous faire franchir, c'est le respect. Il se trouve cependant des monstres, la honte de notre espèce, qui ne craignent pas d'injurier ceux qui leur ont donné l'être, et souvent même osent lever sur eux une main impie. Mais lorsque les douces lois de la nature ne sont pas assez efficaces pour prévenir ces attentats, il est du devoir des magistrats de s'armer du glaive des lois humaines pour les punir.

Brigide Ballet, née avec un caractère violent, avait conçu pour sa vieille mère une haine implacable. Elle épiait depuis quelque temps l'occasion d'assouvir sa rage sur cette pauvre femme. Le 18 avril 1785, elle crut avoir trouvé le moment favorable pour mettre à exécution son affreuse pensée. Elle habitait avec son mari une maison séparée de celle de sa mère. Elle se rendit chez cette dernière, et, l'ayant trouvée seule, elle entra, et commença par l'accabler d'injures. La mère, voyant cette forcenée avancer sur elle pour la frapper, lui dit, les larmes aux yeux: Malheureuse! est-ce que tu oserais maltraiter celle qui t'a donné le jour?... C'est dans mes entrailles, monstre, que tu as reçu la vie..... Ta main serait-elle assez téméraire pour frapper ce sein qui t'a allaitée? pour meurtrir ces bras qui t'ont portée si long-temps dans ton enfance?

Ces paroles touchantes, au lieu de faire rentrer en elle-même cette fille dénaturée, ne firent qu'irriter sa rage. Elle se jette, toute écumante, sur sa mère, et lui passe une corde autour du corps pour la terrasser. La malheureuse mère, ne pouvant opposer une force capable de résister à la fureur de sa fille, se vit renversé par terre, accablée de coups et foulée aux pieds.

Tremblante, éperdue, la mère conjurait sa fille de respecter l'auteur de ses jours; mais ses pleurs, ses prières, ne pouvaient fléchir cette misérable. Elle fut exposée à tous les mouvemens de la cruauté et de la fureur de sa fille. Celle-ci osa même la menacer de l'étrangler. L'effet aurait peut-être suivi la menace. Heureusement des voisins accoururent aux cris de la mère, et mirent fin aux excès criminels de la fille.

Le bruit de cette scène affreuse s'étant répandu, Brigide Ballet devint l'objet de l'exécration publique, et la justice s'empressa de venger les droits sacrés de la nature, qu'elle avait indignement violés. Le ministère public porta plainte; une information eut lieu, et, sur les preuves nombreuses qui en résultèrent, Brigide Ballet fut décrétée de prise de corps et mise en prison. Par sentence du 12 août 1785, le bailliage d'Auxerre l'avait d'abord condamnée au carcan pendant trois jours et à dix livres d'amende; mais le ministère public, trouvant cet arrêt trop indulgent, en appela a minima, et, le 10 septembre suivant, la chambre des vacations du parlement de Paris condamna Brigide Ballet à être attachée au carcan, et à être renfermée pendant neuf ans à l'hôpital de la Salpêtrière.


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