Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
ACCUSATION D'ASSASSINAT
MAL FONDÉE.
Quelques précautions que l'on prenne, avec quelque circonspection que l'on agisse, quelqu'innocent que l'on soit de toute espèce de crime, on n'est point assuré d'être toujours à l'abri de toute accusation. Une circonstance étrange se présente; un crime est commis; votre innocence est prouvée, avérée; il n'en faut pas moins comparaître sur le banc des accusés, et vous résigner, du moins pour un moment, à être soupçonné d'un lâche assassinat.
Le jeune chevalier de Mercier, à peine âgé de dix-huit ans, ne put prendre part aux divertissemens du carnaval de 1781, étant, à cette époque, très-souffrant d'un rhume pénible et opiniâtre. Tout ce qu'il put se permettre fut d'aller, le lundi gras, assister aux danses d'une troupe de jeunes gens rassemblés chez le sieur Alibert, à Aulas. Mais il se retira à neuf heures du soir, rentra chez lui, et se coucha. Une servante qui était venue bassiner son lit, ne sortit que quand elle l'eut vu couché, emporta la lumière, et ferma la porte de sa chambre. La servante, étant sur la première marche de l'escalier, entendit tirer un coup de fusil et la voix d'une personne qui criait au secours. Elle voulait sortir par curiosité, mais elle en fut empêchée par la tante du chevalier, qui craignit que des gens masqués, qu'elle croyait les auteurs de ce coup, ne fissent peur à cette fille.
De son lit, le sieur Mercier entendit aussi le coup de fusil, mais il imagina, comme beaucoup d'autres personnes, que cette détonation isolée était la suite de la dissipation des jours gras.
Point du tout: un lâche assassinat venait d'être commis de guet-apens sur la personne du sieur Boisson; et ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que le chevalier de Mercier fut accusé de ce crime. Il paraît que le sieur Boisson, dans le délire qui était résulté de sa blessure, avait dit qu'il avait reconnu le coupable, que c'était le chevalier de Mercier, etc., etc. Cette déclaration du blessé circula dans le public. Le procureur-fiscal s'en empara, et rendit seul plainte le 9 mars 1781. Le chevalier de Mercier, de son côté, forma une action criminelle dirigée contre le sieur Boisson, pour cause de diffamation, et sa plainte fut portée au tribunal le 27 mars. Alors le sieur Boisson devint directement accusateur, et continua en son nom la procédure entamée.
Quel pouvait être le motif de cette accusation calomnieuse? On présuma que la conduite de Boisson était le résultat d'une rixe qui avait eu lieu entre le chevalier et lui.
Le chevalier de Mercier et le sieur Boisson étaient assis sur la banquette de la maison du sieur Huls. Ils se donnent, en badinant un défi; il s'agissait d'éprouver lequel des deux serrerait le mieux la main de l'autre; en conséquence, ils joignirent leurs mains à plusieurs reprises, et les serrèrent, toujours en badinant. «Je parie, dit Boisson, que je serai assez fort pour vous fouetter.—Le chevalier de Mercier prit ce propos en badinant.—Quand on est si fort, dit-il, on ne se laisse pas menacer de coups de fouet. Le sieur Boisson était tout ému de colère, et proposait au chevalier d'entrer chez le sieur Huls, apparemment pour se laisser fouetter. «Si vous en avez une si grande envie, repartit le chevalier, faites-le à l'endroit où nous sommes, sans entrer chez le sieur Huls.»
Il y avait neuf mois que cette petite rixe s'était passée; et rien n'avait annoncé qu'elle dût avoir des suites fâcheuses. Mais pourquoi Boisson dénonçait-il le chevalier comme son assassin, tandis qu'il savait bien qu'il avait un assez grand nombre d'ennemis particuliers à Aulas, parce qu'il passait pour rendre compte au seigneur des personnes qui allaient à la chasse ou à la pêche?
Quoiqu'il en soit, le chevalier de Mercier fut arrêté, et le parlement de Toulouse fut saisi de la cause. Le procès ne fut terminé qu'au mois de février 1782; et hommage fut rendu à l'innocence du chevalier de Mercier; il fut déchargé de l'accusation, et Boisson condamné aux dépens, à titre de dommages-intérêts et par corps.