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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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MOINOT,
EMPOISONNEUR DE SA FAMILLE.

On ne saurait trop le répéter, la débauche est la source d'une infinité de crimes. Dans beaucoup de cas, on pourrait la considérer comme le premier échelon de l'échafaud. Tel qui finit par souiller sa vie de forfaits a souvent commencé par céder sans réflexion à un penchant criminel. Le fait suivant fournit un exemple de plus de cette triste vérité.

François Moinot, journalier de la paroisse de Saint-Romain, sénéchaussée de Civray, vivait en très-bonne intelligence avec sa femme. Son travail et celui de sa femme suffisaient à leur subsistance et à celle de leurs enfans. En un mot, cette famille jouissait de tout le bonheur que l'on peut trouver dans une condition honnête et laborieuse. Ce bonheur pouvait se prolonger jusqu'au terme de la carrière des deux époux, si Moinot n'eût pas cédé aux aveugles transports d'une passion criminelle qui devait l'entraîner bientôt au forfait le plus épouvantable.

Ce journalier ayant fait connaissance de la fille d'un laboureur d'une paroisse voisine, conçut pour elle une passion désordonnée. Cette jeune fille se nommait Catherine Segaret. Elle répondit à l'amour de Moinot; et leur liaison ne tarda pas à être criminelle. Ce commerce coupable les amena insensiblement à former le projet de s'unir; mais pour en rendre l'exécution possible, Moinot fut inspiré par un génie infernal. Il conçut le dessein de se débarrasser du même coup, et par le poison, de sa femme et de ses enfans. Ce n'était pas assez pour ce monstre d'une seule victime; il voulait pour ainsi dire ensevelir dans le même tombeau tous les fruits de son premier amour, pour qu'ils ne fussent pas continuellement devant ses yeux des reproches vivans de son crime.

François Moinot achète de l'arsenic, et épie avec impatience une occasion favorable pour consommer son forfait. Il saisit le moment où sa femme était sortie avec ses enfans; il met le fatal poison dans la soupe destinée au dîner de la famille. L'heure du repas arrivée, il feint de n'avoir pas appétit, et s'abstient de toucher au plat empoisonné. Mais sa femme et ses enfans n'eurent pas plus tôt mangé de cette soupe qu'ils éprouvèrent tous les symptômes de l'empoisonnement. L'aîné des enfans de Moinot mourut au bout de quelques instans dans des convulsions horribles. Le bruit de cet événement se répandit aussitôt dans le village. La mère et les autres enfans ne furent pas long-temps sans éprouver les mêmes accidens; mais des secours administrés à propos les rappelèrent à la vie et à la santé. Cependant les soupçons se réunirent sur François Moinot. La justice ayant fait constater le délit, le coupable et sa complice furent conduits en prison. Après une instruction très ample, Moinot fut déclaré convaincu d'avoir empoisonné sa femme et ses enfans, et pour réparation condamné à être rompu vif et jeté au feu.

Sur l'appel de la sentence des premiers juges, les accusés furent transférés à la conciergerie, et la fille Segaret y mourut le 21 septembre 1783. Six jours après, Moinot fut condamné par le parlement à faire amende honorable, avec écriteau portant ces mots: empoisonneur de sa femme et de ses enfans, au devant de la principale porte de l'église de Saint-Nicolas de Civray, à être ensuite rompu vif, mis sur la roue, puis jeté dans un bûcher ardent pour y être réduit en cendres, et ses cendres jetées au vent.

Jamais condamnation ne fut plus équitable que celle qui fut prononcée contre l'auteur d'un attentat aussi monstrueux. Le crime dont il avait été accusé était constaté de la manière la plus authentique, et les preuves les plus évidentes se réunissaient contre le coupable. Les juges, vengeurs de l'innocence et de la société, n'avaient pas à hésiter sur l'application de la peine; ils prononcèrent en connaissance de cause.


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