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Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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DOCTEUR EN MÉDECINE
PENDU POUR VOL.

Bors, originaire du Rouergue, devait le jour à un pauvre serrurier de village. Étant encore enfant, il inspira de l'affection au curé de la paroisse, qui se fit un plaisir de lui enseigner à lire, à écrire, et les premiers élémens de la langue latine; mais ce pasteur bienfaisant ayant trouvé le tronc de ses pauvres enfoncé et la probité de son élève en défaut, le congédia.

Le jeune Bors avait reçu de la nature une figure agréable, une intelligence peu commune. Il plut à une dame qui, en haine de ses collatéraux, accueillit cet enfant avec la plus grande bonté, se chargea de son éducation, et l'envoya au collége de Rodez pour y faire ses études. Il y passa quelques années, pendant lesquelles sa protectrice subvenait à tous ses besoins. Cependant ses camarades se plaignaient souvent de la perte de leur bourse; chaque jour ils s'apercevaient qu'il leur manquait quelque chose. Plus d'une fois Bors fut convaincu d'être l'auteur de ces larcins; pourtant on ne le chassa pas du collége, parce qu'il promettait, chaque fois qu'il était découvert, de venir à résipiscence, et que d'ailleurs sa pension était très-bien payée.

Quand il eut achevé sa rhétorique, il revint auprès de sa bienfaitrice, qui le combla d'éloges pour les progrès extraordinaires qu'il avait faits dans ses études. Mais son inclination pour le vol, qu'une trop coupable indulgence n'avait fait que fortifier, ne tarda pas à le faire bannir de cette maison, qui aurait pu devenir son héritage. Il voulut s'adjuger une somme qu'un fermier venait d'apporter. Il fut chassé, et courut cacher sa honte et ses remords à Carcassonne, où il entra chez un négociant en qualité d'instituteur de ses enfans. Quelque nouvelle escroquerie le força de chercher à Bordeaux un asile contre les ministres de la justice. On ignore quelle fut la conduite de Bors dans cette ville; on assure cependant que, souvent inscrit sur les registres de la police pour des escroqueries, il avait, au bout de quelque temps, trouvé à propos de se dérober aux poursuites du magistrat. Après avoir quitté Bordeaux, la ville de Toulouse fut le nouveau théâtre qu'il choisit. Ayant trouvé accès dans la maison d'un agent de change très-estimé et très-riche, il fut chargé de l'éducation de ses fils. Mais il s'occupait plus du soin de s'enrichir que de celui d'instruire ses élèves; il ne laissait échapper aucune occasion de puiser dans le coffre-fort de son patron. Ce manége dura deux ans sans que l'on pût s'en apercevoir, la multiplicité des affaires de cet agent de change empêchant de découvrir les nombreux emprunts que Bors faisait clandestinement à sa caisse.

Celui-ci, devenu, de cette manière, possesseur de sommes assez considérables, et se trouvant à l'abri du besoin, songea à quitter l'habit ecclésiastique, qu'il n'avait pris que pour mieux voiler sa conduite; et pour se donner plus de consistance dans le monde, il se décida à se faire recevoir docteur en médecine. En quittant la famille de l'agent de change qu'il avait si souvent volé, il fut assez adroit pour ne laisser que des regrets dans cette maison, où il aurait dû être en horreur.

Le hasard l'avait mis en relation avec un professeur en médecine, et il avait acquis tant d'empire sur l'esprit de cet homme, que celui-ci voulait lui faire épouser une de ses parentes. Ce médecin était un des amis de l'agent de change. Ce dernier s'étant aperçu du vol qu'on lui avait fait, n'eût jamais soupçonné le jeune docteur, sans les nouveaux larcins que Bors commit à l'aide de sa nouvelle profession. A ces indices il s'en joignit encore d'autres. Bors conclut de nombreuses acquisitions, fit construire des bâtimens considérables, et afficha dans son ameublement un luxe impudent.

L'agent de change, volé si souvent, avait enfin remarqué que l'on avait profité de son absence pour puiser dans sa caisse, et que le frère du médecin, son ami, qui était dans la finance, venait d'éprouver un pareil sort, pendant un court séjour qu'il avait fait à la campagne. Il imagina que le voleur reviendrait s'il partait pour un nouveau voyage. Il fit part de son projet à celui qui avait été volé comme lui. Ce dernier ayant goûté son avis, il annonça aux personnes de sa société habituelle qu'il se disposait à partir le lendemain pour ses métairies, et il partit en effet, après avoir eu le soin de faire cacher dans son appartement son fils, le frère du médecin, et quelques amis et domestiques. Le jour suivant, le 1er novembre 1779, sur les six heures du soir, pendant un incendie qui consumait plusieurs maisons dans le voisinage, Bors, revêtu d'une mauvaise redingote, fut saisi dans l'intérieur de l'appartement de l'agent de change, où il s'était introduit à la faveur de doubles clefs qu'on trouva sur lui. Accusé d'être l'auteur des vols qui avaient été faits depuis peu, il en fit l'aveu, demanda la vie, et offrit de faire à cette condition tout ce qu'on exigerait de lui.

Interrogé sur l'argent qu'il pouvait avoir en sa possession, il indiqua quelques sacs dans sa maison neuve, rue Saint-Rome, et vingt-huit mille livres qu'il avait cachées dans sa maison près les Jacobins. On trouva aux endroits désignés les sommes déclarées par Bors; et l'on fit signer à celui-ci, devant un notaire, un contrat par lequel il vendait tous ses biens meubles et immeubles à l'agent de change, moyennant un prix qu'il déclarait avoir reçu. Quand l'officier public se fut retiré, le docteur fripon fut dépouillé de sa bourse et de ses bijoux; on ne lui laissa que quelques louis, un peu de linge et la liberté, avec menace de le livrer au bras vengeur de la justice, s'il ne changeait de résidence.

Docile à ces injonctions, Bors se mit en route pour Bordeaux. Mais, à deux lieues de Toulouse, il s'arrêta dans une auberge, ne voulut pas souper, et demanda une chambre où il se retira. Comme cette chambre était au-dessus de la cuisine de l'hôte, des gouttes de sang, filtrant à travers le plancher mal joint, frappèrent les regards de l'aubergiste: il se hâta de monter chez le voyageur, et le trouva étendu sans sentiment et baigné dans son sang. Un chirurgien fut appelé, et Bors, par les soins qu'il en reçut, ne tarda pas à revenir à la vie. Ce malheureux, dans un accès de désespoir, s'était ouvert les quatre veines.

Lorsqu'il fut tout-à-fait rétabli, il continua sa route jusqu'à destination. Arrivé à Bordeaux, il s'engagea, en qualité de matelot-chirurgien, sur une frégate qui devait faire voile prochainement pour l'Amérique septentrionale; mais, au moment de s'embarquer, il fut arrêté, à la requête du ministère public, et conduit à Toulouse, où son procès fut instruit. Il nia constamment les vols dont on l'accusait, soutint avec une impudence incroyable qu'il était innocent, et prit des lettres de rescision contre le contrat qu'il avait consenti au profit de l'agent de change.

Bors répondit avec la même effronterie à toutes les questions qui lui furent faites dans ses divers interrogatoires. Mais les preuves qui s'élevaient contre lui étaient accablantes. Il fut condamné à être pendu, par arrêt du parlement, de Toulouse de juillet 1780. La sentence fut exécutée le jour même. Bors étant sorti à midi et demi du palais, fit appeler deux porteurs pour se faire conduire à la prison de l'Hôtel-de-ville. En parcourant les rues placées sur son passage, il considérait d'un œil serein et fier le peuple qui s'y portait en foule. A son arrivée à l'Hôtel-de-ville, il paya les porteurs, et leur dit: «Je n'ai que trente sous sur moi, les voilà; j'espère sortir tantôt, venez me prendre, je vous récompenserai mieux.» Des jeunes gens détenus en prison par ordonnance de police pour une légère dispute, l'invitèrent à dîner. S'étant mis à table, il mangea peu, se leva avant la fin du repas, et envoya chez le greffier de la geôle. Un instant après, il fut appelé et conduit, sans le savoir, à la chambre de la question, où son arrêt lui fut prononcé. Il ne proféra pas une seule parole: mais, saisi tout-à-coup par un violent désespoir, il s'élança contre le coin d'une cheminée, la tête la première, et s'y fit une ouverture auprès d'une des tempes. Son sang ayant ruisselé aussitôt, un chirurgien pansa la plaie. On se hâta d'exécuter l'arrêt, dans la crainte de n'en avoir pas le temps. Lorsqu'on le conduisit au lieu du supplice, son visage était altéré, ses yeux hagards, son front défiguré, et couvert du sang qu'il perdait en abondance. La comparaison du sort affreux que ce malheureux allait éprouver, avec celui dont il aurait dû jouir, s'il eût voulu respecter les lois de la probité, inspirait une véritable compassion pour lui.

Descendu de la charrette, il marcha d'un pas tranquille vers la potence; avant d'y monter, il répondit aux commissaires qui lui avaient demandé s'il n'avait aucune déclaration à faire, qu'il n'en avait point; monté, il se tourna vers l'exécuteur, et le pria de terminer la tragédie le plus promptement possible: «Faites-moi le plaisir, lui dit-il, mon ami, de faire vite; il me tarde que ceci soit achevé.» Il se précipita ensuite lui-même..... Son cadavre fut accordé au collége de chirurgie, qui l'avait demandé; mais les restes du docteur pendu n'étaient plus le lendemain à l'amphithéâtre de Saint-Côme; la serrure de la porte avait été forcée; et le tronc, sans tête, fut trouvé, quelques jours après, dans le canal royal de Languedoc. On attribua cet enlèvement aux étudians en médecine.


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