Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
LE PAUVRE TAILLEUR
VICTIME DE SA BIENFAISANCE.
Un pauvre tailleur, occupant une chambre dans la rue de Cléry à Paris, eut le malheur de faire connaissance avec un individu qui cachait son véritable nom sous ceux de Nicolas Gérard. Touché de la misère de cet homme, il eut la bonté de lui donner l'hospitalité. Un tel acte d'humanité, de la part d'un ouvrier qui n'avait pour tout bien que son aiguille, devait-il être payé par le plus horrible forfait?
Le 6 janvier 1781, sur les six heures du soir, Gérard et deux autres hommes furent rencontrés dans l'escalier, emportant les meubles de Herse (c'était le nom du tailleur). Le propriétaire de la maison ayant été averti, fit arrêter Gérard et ses compagnons, et les força de remettre les meubles dans la chambre où ils les avaient pris.
Des traces de sang qui furent aperçues dans cette chambre donnèrent naissance à des soupçons. On fit des recherches, et l'on trouva sous l'établi du tailleur un cadavre dont la tête avait été coupée, et qui fut reconnu pour être celui de l'infortuné Herse. Gérard et ses deux affidés furent aussitôt conduits en prison.
Gérard, pour échapper au supplice que méritait son crime, imagina une fable grossière avec laquelle il croyait en imposer aux juges. Il déclara que le propriétaire de la maison ayant donné congé à Herse, pour le terme de janvier, et ce tailleur n'ayant pas d'argent pour payer son loyer, mais espérant en recevoir d'un de ses débiteurs qui demeurait à Versailles, était parti pour cette ville le 3 janvier, dès le matin, en le chargeant, lui Gérard, de vendre les meubles et effets pour payer son terme, si toutefois il n'était pas de retour avant l'échéance.
Gérard avoua que le tailleur lui avait laissé la clef de sa chambre en partant, et qu'il n'avait pas cessé de coucher dans cette chambre. Malgré ces aveux, il continua néanmoins à nier qu'il fût l'auteur de l'assassinat. Il persista également à soutenir la fable du voyage de Versailles, affirmant qu'il ignorait le retour de Herse à Paris, quoique celui-ci ne pût rentrer dans la chambre qu'avec la clef qu'il lui avait remise à lui Gérard, attendu qu'il n'en avait pas d'autre. Il y en avait bien une double, mais elle était entre les mains du propriétaire. Ainsi les mensonges de Gérard étaient évidens.
L'audace de ce scélérat aurait pu répandre des doutes sur la vérité, s'il n'y eût pas eu contre lui une réunion de circonstances qui prouvaient son imposture; mais les faits certains et avoués qu'il avait été seul détenteur de la clef de la chambre, qu'il y avait toujours couché, qu'il avait voulu enlever de nuit et furtivement les meubles; la disparition de Herse du 3 au 6; enfin le cadavre et les traces de sang trouvées dans la chambre, qui n'avait été occupée que par Gérard, ne laissaient rien à désirer pour convaincre cet assassin de son crime. On découvrit aussi qu'il avait déjà figuré dans plusieurs procès criminels sous des noms différens. Il portait sur l'épaule l'empreinte des lettres G. A. L., qui ne permettait pas de douter de son infamie, et de l'habitude qu'il avait du crime. Il ne se bornait pas à changer de nom; il cachait encore sa profession. On assure qu'il était coiffeur; cependant, dans son dernier procès, il déclara qu'il était manœuvre de maçon.
Le seul désir de s'emparer des effets de Herse avait porté ce monstre à assassiner son bienfaiteur. On apprit aussi que Gérard entretenait un commerce criminel avec une de ces viles prostituées, qui ne portent que trop souvent au crime ceux qui partagent leur débauche, et l'on présuma que c'était pour fournir aux besoins de cette malheureuse que Gérard avait fait périr le pauvre Herse.
Le parlement, suffisamment éclairé et convaincu, par arrêt du 3 février 1781, condamna Gérard à être rompu vif.
Ce scélérat montra une audace et une constance incroyables pendant la question, qui ne lui arracha aucun aveu. Il conserva la même contenance pendant son supplice. Mais on assure qu'il déclara extra-judiciairement qu'il était coupable du crime pour lequel on l'avait condamné; que s'il n'en faisait pas l'aveu à la justice, et que s'il persistait à cacher son nom, c'était pour ne pas faire tort à sa famille.