Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
L'ÉPOUSE
ADULTÈRE ET EMPOISONNEUSE.
L'adultère, ce crime dont tant d'hommes plaisantent avec une si stupide légèreté, est un de ceux qui portent le plus de désordres dans la société. Dès qu'une femme a fait une fois le sacrifice de la foi conjugale à un penchant criminel, le repentir et le retour à la vertu deviennent de plus en plus difficiles. Il n'est pas en son pouvoir de dire: «Je m'arrêterai là; je n'irai pas plus loin;» une sorte de nécessité fatale, que Saint-Augustin appelle une nécessité de fer, l'entraîne, comme malgré elle, aux derniers excès. Ainsi souvent la femme qui ne fut d'abord que faible et vicieuse, se change en scélérate déterminée et sanguinaire. L'histoire de la femme Rivereau confirme ces tristes réflexions.
Née et mariée dans la ville de Jargeau, située dans le ressort du bailliage d'Orléans, elle vécut dans son humble fortune, honnête et innocente, jusqu'au moment où, se laissant aller aux cajoleries et aux séductions du nommé Bouin dit Lajoie, elle prostitua sa personne et sa fidélité conjugale. Mais bientôt ce commerce coupable, au lieu d'assouvir sa passion ne fit que l'irriter. Elle ne vit plus dans son mari qu'un être importun et odieux. Elle aurait voulu s'affranchir de ce joug qui lui pesait tant. Trouvant donc que son malheureux époux vivait trop long-temps au gré de son impatience, elle en vint par degrés à se familiariser avec l'idée d'abréger elle-même son existence. Le fer et le sang laissent des traces trop apparentes; la femme Rivereau et son amant devenu son complice, eurent recours au poison, et crurent assurer l'impunité de leur crime. Mais la femme ou plutôt la furie, pour être plus certaine du succès, chargea tellement la dose, qu'elle perdit elle-même le fruit odieux de ses noires précautions, et déchira de sa main féroce le voile dont elle cherchait à s'envelopper.
Le soir du 3 janvier 1785, jour fixé pour l'exécution du complot, la femme monte la première, une demi-heure avant les autres. Elle apprête deux soupes, et mêle une forte dose d'arsenic dans celle qu'elle destine à son mari. Bientôt Rivereau, sans défiance, monte avec un ouvrier de son atelier dans la chambre haute, où se préparait ce repas homicide; et las du travail de la journée, il comptait goûter le repos et le plaisir d'un souper frugal.
Mais à peine a-t-il mangé quelques cuillerées de soupe, qu'il est atteint de vomissemens violens. Il abandonne le reste à son compagnon, qui en avale une ou deux cuillerées, malgré la femme Rivereau qui lui arrache le vase des mains, ne voulant pas sans doute commettre un second crime gratuitement.
Le compagnon, après des vomissemens très-pénibles, résista à la dose légère de poison qu'il avait prise, mais dès le lendemain matin le mari succomba, et sa mort remplit les vœux de sa coupable épouse.
L'enterrement eut lieu, et la malheureuse, croyant son forfait enseveli avec son mari, ne songea plus qu'à jouir des fruits de son crime avec son complice. Dès le lendemain de l'enterrement, elle rassemble la meilleure partie des effets de son ménage, s'évade de la maison, dont elle laisse les portes ouvertes, et s'enfuit avec Bouin dit Lajoie.
Croyant mieux cacher son forfait, et dérober plus sûrement sa trace aux poursuites de la justice, cette femme abominable prit le nom de son complice, et le donna pour son mari dans les auberges où elle passa. Cependant sa fuite précipitée avait éveillé des soupçons sur la mort subite de Rivereau et sur les accidens qui l'avaient précédée. Bientôt les magistrats de Jargeau en furent instruits par la rumeur publique. On procéda sur-le-champ à l'exhumation du corps de Rivereau, et les hommes de l'art y reconnurent les horribles ravages d'un poison violent. Aussitôt des ordres furent donnés pour arrêter les deux fugitifs véhémentement soupçonnés de cet empoisonnement.
Bouin dit Lajoie, ayant eu connaissance des poursuites dont il était aussi l'objet, échappa à la justice, en abandonnant sa complice, qui fut arrêtée et conduite dans les prisons. Trois autres personnes furent décrétées et emprisonnées pour le même fait, mais il fut sursis au jugement de leur procès jusqu'après l'exécution de la femme Rivereau.
Celle-ci fut condamnée, par sentence du bailliage d'Orléans, confirmée par arrêt du parlement de Paris, du 13 septembre 1785, à la question ordinaire et extraordinaire, et à être brûlée vive sur la place publique de Jargeau, après avoir fait amende honorable, ayant un écriteau portant: empoisonneuse de son mari.
L'arrêt fut exécuté quelques jours après, et les cendres de la coupable furent jetées au vent.