Chronique du crime et de l'innocence, tome 4/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
ATROCE SANG-FROID D'UN ASSASSIN.
Avant de passer aux détails de ce fait épouvantable, il faut dire, à l'honneur de l'humanité, que les monstres de l'espèce de celui dont nous allons parler sont heureusement fort rares. Ce qui le prouve, c'est l'horreur générale qu'inspire leur apparition. Ils produisent dans l'ordre moral le même effet qu'une épidémie dans l'ordre physique. Grâce aux soins de la Providence, il y a dans le cœur de l'homme une conscience, qui, si elle ne l'empêche pas toujours de se livrer au crime, se charge du moins d'être son premier bourreau, et commence même à le torturer, du moment où il s'abandonne à quelque pensée coupable. Témoin les scélérats les plus consommés qui, de leur propre aveu, au moment de commettre un forfait, hésitent, sentent trembler leur main mal assurée, et sont dominés par un trouble qu'ils ne peuvent définir, et qui souvent est leur accusateur le plus terrible.
Au mois de novembre 1780, un journalier des environs de la ville de Mortagne, dans le Perche, se rendit coupable d'un assassinat dont les circonstances prouvent une atrocité de cannibale. Ce journalier, appelé Pierre Tison, habitait une petite maison dans le bourg de Saint-Sulpice. Ses larcins habituels le faisaient regarder dans le canton comme un voleur de profession.
L'habitude du vol le familiarisa par degrés avec la pensée de crimes plus grands encore. Enhardi par l'impunité dont on l'avait laissé jouir jusqu'alors, il s'imagina sans doute que la justice, qui l'avait toujours ménagé, lui continuerait la même indulgence pour les autres méfaits qu'il pourrait commettre.
Le 3 novembre, ayant rencontré, sur la grande route de Mortagne à Alençon, un marchand mercier, nommé François Péan, qui ne le connaissait pas, il lia conversation avec lui, entra en pourparlers pour quelques achats, et lui proposa de venir chez lui, sous prétexte qu'il pourrait y examiner plus à son aise les marchandises dont il voulait faire l'acquisition. Le malheureux marchand accepte la proposition, et suit le prétendu acheteur, qui le conduit, par des chemins détournés, à sa maison.
Le jour commençait à baisser lorsqu'ils y arrivèrent. Aussitôt que le marchand fut entré, Tison ferma soigneusement la porte et les fenêtres. Après avoir pris les précautions nécessaires à l'exécution du projet criminel qu'il méditait, il demanda à voir les marchandises. Péan était dans une parfaite sécurité; il se baisse pour déployer son ballot. Pendant ce temps, Tison lui assène un coup de serpe sur la tête. L'infortuné tombe sous la violence du coup; mais il lui reste encore assez de force; il crie en se débattant contre son meurtrier.
Dans la crainte que ces cris ne soient entendus dans le voisinage, l'assassin, gardant son sang froid, comme s'il eût fait la chose du monde la plus naturelle, a recours à un raffinement de barbarie, sans exemple peut-être dans les annales du crime. Il se met à chanter à tue-tête, et saisissant une corde, il parvient à étrangler, toujours en chantant, la malheureuse victime de sa cupidité!
Son crime ne tarda pas à être connu. Il fut arrêté, et son procès lui fut fait sur-le-champ. Il fut convaincu d'avoir chanté, non seulement pendant le temps qu'il arrachait la vie au malheureux Péan, mais encore long-temps après, ayant toujours sous les yeux le cadavre, témoin muet, mais pourtant solennel, de sa révoltante atrocité. Si un pareil trait n'avait pas été attesté, on le regarderait comme invraisemblable. On n'a vu que trop souvent des scélérats tuer leurs semblables; mais on n'avait pas encore vu de monstre assez pervers pour oser chanter, afin d'étouffer les cris de ceux qu'ils égorgeaient.
Le procès de Pierre Tison ne fut pas long. Les preuves l'accablaient de toutes parts. Le lieutenant-criminel de Mortagne le condamna au supplice des assassins, et par arrêt du parlement du 24 janvier 1781, il subit la question ordinaire et extraordinaire, et mourut sur la roue.