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Le chat de misère: Idées et images

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Tous les Normands étant cousins, Mme de Couvrigny, qui vient de se faire condamner à mort par le redoutable jury du Calvados, est donc ma cousine. Elle l'est même de façon plus authentique. Je n'ai pas besoin d'en donner d'autres preuves que mon dire, car c'est une alliance dont peu se vanteront. Je ne crois pas d'ailleurs qu'on en rougisse beaucoup. Il ne s'agit après tout que d'un crime de folie alcoolique et la vraie place de cette malheureuse serait à l'asile du Bon-Sauveur. C'est l'inconvénient des familles indéfiniment étendues qu'il s'y passe toujours quelque drame. Il y a une dizaine d'années, des jeunes filles s'amusèrent un jour à compter combien, elles comprises, je pouvais avoir de cousines sur la terre normande. Elles en trouvèrent, je crois, plus de cent cinquante, ce qui suppose autant de cousins, et elles en oubliaient sans doute. Depuis, tout ce monde a crû, car les anciennes et vraies familles normandes ont conservé une fécondité effroyable et qui les mène à la ruine et parfois à la dégradation, ce dont les Couvrigny sont un bel exemple. Le mari, la victime, était retombé à la condition des paysans qui jadis lui payaient fermage. Il labourait lui-même, nettoyait les étables, entassait son fumier dans la cour. Sa femme buvait, peut-être pour oublier sa misère. Le couple procréa des malingres, parmi lesquels une sorte d'idiot, que sa mère abrutie poussa au crime. Il n'y a rien de plus terrible que ces fins de familles déchues et l'on comprend la terreur des plus intelligents devant de telles perspectives. L'affaire Couvrigny apparaît de temps en temps sous des formes diverses, mais qui ont toutes une cause unique: la déchéance.


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