Le chat de misère: Idées et images
M. Ribot, le philosophe, a dit que l'attention était entrée dans le monde par les femmes. Mais il y a si longtemps qu'elles ne s'en souviennent plus. C'est à l'étourderie qu'elles donnent maintenant leurs soins. On a prétendu que les actrices, les femmes de tout genre et de toute vertu, qui oubliaient sur une table, dans une voiture, perdaient dans la rue, un bracelet, une aumônière, un collier de prix, le faisaient à dessein, par manière de réclame et pour que personne ne puisse douter de leur valeur. Semer cent mille francs de perles comme on perd un parapluie, pensez! Mais sont-elles capables de tant d'astuce? Je ne le crois pas. Elles sont étourdies, voilà tout, quoique, probablement, pas beaucoup plus que les hommes. Car, songez qu'elles n'ont pas de poches! Mettons-nous à leur place. Qu'adviendrait-il de ce que nous portons sur nous, si nous étions obligés de le tenir à la main ou dans un petit sac? On ne trouve pas dans les fiacres bien plus d'objets féminins que d'objets masculins. Dès que l'homme s'encombre de quelque chose qui ne peut tenir dans sa poche, il y a beaucoup de chances pour qu'il l'oublie en chemin. La femme qui porte toujours ce quelque chose hors de ses poches doit nécessairement l'oublier encore bien plus souvent que nous. Ne nous moquons donc pas d'elle et plaignons-la plutôt. Son tort n'est pas là. Il est dans cet esclavage de la mode auquel elle se soumet si docilement. Pas de poches, cela gâterait la ligne. La ligne! En vérité, elles se croient des statues, quand elles ne sont que des mannequins. Et puis, les hommes, à qui elles croient plaire davantage, aiment-ils tant que cela la ligne? Je crois qu'ils goûtent surtout ce qui l'excède, ce qui la gonfle, ce qui la courbe.