Le chat de misère: Idées et images
Il paraît que les Gobelins sont en décadence, parce qu'on y chauffe les cuves à couleur avec du bois. Ce feu est difficile à régler, les ouvriers y perdent leur temps et la besogne est ratée. C'est bien possible, mais comment donc faisaient les ouvriers d'autrefois, ceux d'avant la vapeur, d'avant l'électricité, d'avant même le pétrole? Sans rien connaître à la question, je ne puis comprendre en quoi ce système de chauffage met les ouvriers d'aujourd'hui en état d'infériorité sur ceux de jadis. Si cette industrie des tapisseries, cet art plutôt, était victime de la concurrence, je comprendrais ces plaintes, mais les Gobelins sont seuls de leur espèce. Ni en France, ni à l'étranger, on n'a monté d'ateliers rivaux. Demande-t-on aux artistes des Gobelins de faire mieux que les contemporains de Le Brun ou de Watteau? Nullement. On ne leur demande que de faire aussi bien et je ne vois pas la raison pourquoi ils n'y parviendraient pas. Mais précisément, répondent leurs défenseurs, ils pourraient faire mieux, s'ils étaient mieux outillés. Oh! comme c'est inutile! Comme c'est dangereux! Mais, dit-on encore, et le progrès? Songez que si les cuves étaient chauffées à la vapeur, nous obtiendrions très facilement et à peu de frais 14.000 nuances! Les créateurs du genre étaient bien loin d'en connaître autant, ce qui les rendait incapables de rendre, comme il faut, toutes celles d'un tableau. Aussi, répondrais-je, moi qui décidément n'y entends rien, ils faisaient des tapisseries et non des copies de tableaux. On répond encore: «Nous le pouvons, nos couleurs sont inaltérables!» Ah! dis-je à mon tour, laissez-moi dans ma barbarie. Je n'aime que les couleurs qui passent, qui sont déjà passées, les couleurs qui promettent, si elles ne l'ont déjà, la grâce des choses fanées!