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Le chat de misère: Idées et images

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J'ai acheté hier, en flânant sur les quais (où on ne trouve plus rien, disent ceux qui savent chercher, mais qui ne savent pas trouver), deux petits livres, plus curieux encore qu'ils ne sont rares. L'un, De l'abus des nudités de gorge, insinue que les femmes montrent trop de leur peau, et l'autre, Apothéose du beau sexe, est d'avis qu'elles n'en montrent pas assez. Il va même beaucoup plus loin dans la galanterie, mais tenons nous en à ce point de vue. Le premier de ces livrets présente l'opinion du xviie siècle; le second donne celle du xviiie. Comme il faut peu de temps pour que les idées des honnêtes gens changent du tout au tout! Quarante ans à peine séparent les deux traités et tandis que l'un réprouve l'usage qu'avaient les femmes de sortir les épaules et la gorge nues, l'autre ne serait nullement choqué d'une mode encore un peu plus libertine. L'époque du Directoire réalisa ses vœux, mais notre époque a réalisé ceux du premier auteur, qui était, dit-on, l'abbé Jacques Boileau, le frère de Despréaux. Serait-ce donc lui qui aurait eu raison? Momentanément, oui; mais au temps de Mme Tallien, on aurait cru le contraire, et d'ailleurs les femmes recommencent un peu, surtout quand il fait très chaud, à se dénuder le col. Il est vrai, il n'y a point d'abus. Mon époque est encore très collet-monté, on peut le dire. Si janséniste qu'il fût, l'abbé Boileau eût peut-être été fâché de voir ses conseils de modestie si bien suivis et je crois qu'il eût frémi devant ces hauts cols, maintenus rigides par des épingles spéciales, où les femmes s'engoncent si douloureusement. Ainsi murées, elles ressemblent à ces doctrinaires de la Restauration dont la cravate était aussi étroite que leurs idées. Allons, c'est au tour de l'Apothéose du beau sexe de gagner. L'auteur était philosophe aussi, mais pas du genre de Royer-Collard.


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