Le chat de misère: Idées et images
Un journal de province vient d'avoir une idée d'une grande originalité et dont il semble d'ailleurs avoir goûté tout le sel: c'est d'imaginer de faire une enquête, d'abord, et, en second lieu, de la faire sur cette question, bravement, sans vergogne, et même avec une ingénuité probablement sans seconde, sur cette question, dis-je: «Que pensez-vous de l'amour?» Il faut nommer ce journal. C'est l'Hérault, comme le département dont il est l'organe. Je m'excuse de lui faire cette publicité, bien vaine pour qui a tant de génie, mais la justice m'y oblige, dont j'ai un profond sentiment. Et aussi l'intérêt, car je le supplierai, en échange et malgré mon indignité, de me faire parvenir les réponses mirifiques qu'il recevra à sa non moins mirifique enquête. Que pensez-vous de l'amour? En écrivant cela, je ris, je l'avoue, comme un nigaud. Je me juge, rien n'y fait. Je ris. Tant d'innocence excite mes puissances hilarantes. Je me sens devenir un nouveau Démocrite. Que pensez-vous de l'amour? Ah! Monsieur, beaucoup de choses. Mais encore? Laissez-moi rire d'abord tout mon soûl. Je suis comme Nicolle devant M. Jourdain et, ayant bien ri, je reprends soudain tout mon sérieux devant l'énormité de la réponse que vous attendez de moi, puisque vous m'avez envoyé votre petit papier comminatoire: Que pensez-vous de l'amour? Ah! Monsieur, trop de choses, pour essayer même d'en exposer une seule. Il me semble même tout d'un coup que je ne pense plus, sur ce sujet, rien du tout. Votre question stupéfie mes facultés et vous me voyez tout ébaubi, éberlué et estomaqué, comme on dit peut-être sur les rives de l'Hérault. Non, je vous assure, je ne puis. Je ne dispose que de quarante lignes.