Le chat de misère: Idées et images
C'est une histoire très vraie qui fut contée à l'Institut général psychologique par M. A. Laguesse, directeur honoraire des établissements pénitentiaires. Le nommé J. est un habitué des prisons. Non qu'il soit un grand criminel; c'est surtout un grand paresseux. Mais il sait commettre à propos le menu délit qui lui fera passer en prison la saison mauvaise. M. Laguesse le qualifie de débauché et d'ivrogne. Soit. Ce ne sont en tout cas que débauches et ivrogneries d'un sans le sou, c'est-à-dire bien médiocres. Un jour donc qu'il était en cellule pour avoir refusé de se livrer au travail imposé aux prisonniers, le directeur eut pitié de lui, je ne sais pour quelle cause, et voulut lui faire grâce, à condition qu'il irait à l'atelier où l'on effiloche des étoupes. Mais il ne voulut rien savoir. Le cachot, où l'on n'effiloche pas d'étoupes, lui paraissait beaucoup plus séduisant que l'atelier où l'on réduit en charpie de vieux câbles goudronnés. Etonné de ce refus des faveurs administratives, le directeur insistait. En vain. «Pensez donc, lui dit le prisonnier, comme je suis heureux étendu sur ma paillasse, moi qui couche à même les quais toute l'année! Ce n'est qu'en prison que je goûte à la viande et que je bénéficie d'une chemise propre tous les huit jours!» Lui parler repentir et conscience le mettrait dans un ahurissement profond, remarque l'excellent M. Laguesse, qui a peut-être essayé. Habitué à toutes les privations, à toutes les souffrances, le régime le plus dur de la détention est un bienfait pour lui. Le malheureux croit que les prisons sont des manières d'asiles où les traîne-misère trouvent un abri, mais il n'arrive pas à comprendre pourquoi la société exige que l'on commette un délit pour que l'on puisse y entrer. Il serait si simple, pense-t-il au fond de lui-même, sans oser le dire, de supprimer cette formalité absurde. Je suis assez de son avis.