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Le chat de misère: Idées et images

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J'ai été frappé, l'autre jour, de la ponctualité avec laquelle les journaux se sont trouvés prêts à chanter la louange funèbre de Hyacinthe Loyson, qui venait de mourir. Ce n'était pourtant pas une célébrité très boulevardière et on ne voyait guère son nom que dans ces journaux d'une religiosité spéciale et secrète que l'on reçoit parfois, tel un prospectus. Mais il avait été célèbre et cela suffisait. Sa notice attendait sur le marbre nécrophorique. Quand on est journaliste ou qu'on tient par quelque côté à la presse, il faut en passer par là. On a été ou on sera nécrophore. On enterre les siens. C'est une besogne humaine. Mais j'aurais été bien embarrassé s'il m'avait été donné d'embaumer cet homme qui avait voulu mourir entouré de prêtres vieux-catholiques, protestants, arméniens, etc., etc. Il ne faut pas tenter l'ironie, la nécrophorie demande un sérieux considérable. Je ne savais d'ailleurs rien sur lui, sinon qu'il avait été carme et qu'il était éloquent. Cela ne devait pas être amusant d'être carme. Pourtant, on portait une bien belle robe (couleur carmélite, naturellement) et on pouvait exhiber aux foules la blancheur de ses pieds nus. Les carmes étaient très peu nombreux à Paris et n'y avaient plus aucune réputation, ni bonne, ni mauvaise. Quelle déchéance! Sous l'ancien régime, où ils pullulaient, une des apostrophes les plus usitées dans le populaire était «Fils de carme!» Ils avaient la réputation d'être des repopulateurs remarquables et de surpasser, en ce genre d'exploit, leurs ennemis les capucins, gens bonasses et timorés. On les recrutait d'ailleurs parmi les plus beaux hommes. C'étaient les cent-gardes de l'Eglise. Voilà tout ce que j'aurais pu dire à propos de feu M. Hyacinthe Loyson. Je crois que j'ai bien fait de m'abstenir, d'autant que les nécrophores ne lui ont pas manqué. Ils sont toujours prêts. Nous l'avons ou nous l'aurons tous sur le marbre, chers confrères, selon l'importance que l'opinion nous accorde, la notice émue du nécrophore qui nous survivra.


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