Le chat de misère: Idées et images
La navette de Soudeilles nous est rendue. L'antiquaire belge entre les mains de qui elle était parvenue, ne pouvant la vendre, s'est décidé à la restituer. Le chef de saint Martin est déjà revenu. Ainsi, comme disent les gens qui ont des entrailles pour l'archéologie, le Trésor d'art de la France est provisoirement au complet. Ce n'est pas que cela soit très beau, mais puisque cela nous appartient, c'est à nous de le conserver, au moins par curiosité et comme spécimen d'une civilisation disparue. L'art religieux est si loin de nous! Je n'ai pas vu cette navette, mais il suffit qu'elle soit du xiiie siècle (autant qu'il m'en souvienne) pour demeurer précieuse. Les artisans de ces temps anciens avaient une telle ingénuité! C'est qu'il n'y avait pas d'écoles d'art, avec des élèves et des modèles. Il n'y avait que des apprentis qui conquéraient leur métier avec patience et des maîtres qui ne le leur enseignaient qu'en leur mettant l'outil à la main. Il n'y avait pas d'écoles, mais de ces maîtres, il y en avait partout, dans les plus petites bourgades, qui étaient devenus maîtres à force d'avoir été apprentis, forgerons à force de forger. Ils arrivaient rarement à la perfection, à l'odieuse perfection, mais leurs œuvres avaient presque toujours cette originalité que l'enseignement de l'art a tuée à jamais. Si l'art d'écrire a échappé à la médiocrité qui règne sur les arts plastiques, c'est qu'on n'a pas encore osé l'enseigner officiellement, mais cela viendra sans doute et, comme il y a des prix de poésie, on verra des écoles de poésie, des professeurs de poésie et des modèles de poésie qu'on copiera éternellement. L'art ne s'enseigne pas, sinon dans ses éléments les plus élémentaires. Il faut que l'artiste, qui redeviendrait alors un artisan, le découvre lui-même. Qu'il fuie l'école, c'est la seule chance qu'il ait de retrouver l'ingénuité perdue.