Le chat de misère: Idées et images
Il paraît que la consommation du tabac, notamment des cigarettes, augmente sensiblement. Cela ne m'étonne pas pour le tabac, qui est très bon, mais me surprend des cigarettes qui sont si mal faites qu'elles sont quasi infumables, et cela sans distinction de catégorie. Cela ne tient pas, en effet, à la qualité du tabac. C'est le même que celui vendu en paquet. Les cigarettes des Manufactures de l'Etat ne sont très mauvaises que parce qu'elles sont très mal faites. Comment arrive-t-on à ce résultat en employant un Maryland, qui est un des premiers tabacs du monde, ayant la douceur du tabac d'Orient et je ne sais quel accent que n'ont pas les produits turcs et égyptiens, à la fois fades et trop parfumés? C'est une question de manutention. Il faut que l'ouvrière fabrique vingt cigarettes, ni plus ni moins, avec une quantité déterminée de tabac. Il arrive donc qu'elle fasse les premières trop faibles et les dernières trop fortes. Elles sont d'ailleurs presque toujours trop fortes. Dans un paquet de cigarettes maryland dites élégantes, il y en a généralement la moitié qui ont la densité et la rigidité du bois. De telles cigarettes sont détestables, sans aucune saveur. Souvent même elles sont serrées à tel point qu'elles ne laissent point passer la fumée. Le prix n'y fait rien naturellement, ni le nom, ni la forme de l'empaquetage, ni la dorure, ni le liégeage. Au contraire. Il y a même chance d'en utiliser quelques-unes dans un paquet d'élégantes, ce qui n'arrive pas toujours dans une boîte d'Amazones. Ce n'était pas la peine de vulgariser ce beau nom pour lui faire servir d'étiquette à une marchandise illusoire. Il y a là toute une machinerie à changer, tout un personnel à surveiller. Heureusement qu'il nous reste les cigarettes étrangères. Elles sont moins bonnes, sans doute, mais elles se fument facilement. Et on avouera que, pour une cigarette, c'est quelque chose.