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Le chat de misère: Idées et images

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Le charme, c'est-à-dire l'incantation. Celui qui est né parmi les arbres cèdera toujours à l'appel de leur renouvellement. Tous les ans, à cette époque, il faut que j'aille voir des arbres de près, des arbres qui ne poussent pas dans la maçonnerie, des arbres à l'état naturel, des arbres en liberté, ou qui en donnent l'illusion. Et il faut que je sois seul et que je les regarde en paix, jusqu'à ce qu'ils m'aient parlé. Ils me parlent. Ce qu'ils disent n'est pas très clair, mais la poésie la plus obscure est aussi celle qui me plaît: j'aime aussi que les mots dépassent la pensée et suggèrent à l'esprit toutes les significations. Si la destinée ne m'emprisonnait pas dans les maisons, j'irais tous les jours écouter les oracles des hauts feuillages. J'en rapporterais beaucoup de sérénité, mais quand je les ai écoutés, une fois seulement, j'en ai pour nourrir longtemps mes méditations. «Une femme et des livres», disait je ne sais qui. Une femme n'a pas la patience d'écouter le langage des arbres, et des livres, quand ils parlent, sont bien superflus. Non, des arbres, rien que des arbres, et tout ce qui croît autour des arbres et à leur ombre, quand cela ne serait que de l'herbe. Je les aime groupés et déjà vieux, avec cet air d'éternité qui les grandit encore et cet air de sagesse qui donne à leurs obscurs discours je ne sais quoi d'absolu. Je veux aussi qu'ils soient entourés d'une abondante vie animale, mais s'il passe des êtres humains, qu'ils se taisent: leurs paroles dissiperaient le charme des arbres. C'est parce qu'ils sont nourris de ce charme et de leurs paroles, plus légères que le vent léger, que les animaux de la forêt sont silencieux; leurs cris, d'ailleurs, ne sont que des bruits de la nature. Jamais on ne sent comme parmi les arbres à quel point la parole humaine est un discord dans ce concert de frôlements, d'appels, de murmures et de silences.


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