Le chat de misère: Idées et images
Le paysage est vraiment très agréable au pied de cette colline de Saint-Adrien, dentée de ses quatre tours de pierre blanche, où s'enfonce le profil de la petite chapelle creusée dans le roc. La Seine coule entre deux rives de feuillages et de roseaux que le vent couche comme de grands épis. Le ciel est tout pommelé d'un orage proche. Il ne passe personne sur la route et, sur le fleuve, on n'aperçoit que la barque du passeur. Je suis assis dans un grand verger de pommiers où sont semées des tables et des chaises pour les promeneurs du dimanche. Aujourd'hui, c'est le grand silence, qui est comme souligné par le tonnerre des trains qui franchissent les deux ponts de fer d'Oissel, et j'écris à une personne lointaine qui a goûté le charme de ce paysage et qui pense peut-être, à cette heure, au plaisir que j'y prends. Tout est doux. Une femme cueille des pommes vertes. Au loin, derrière les îles, un remorqueur traîne une file lente de péniches. Et, tout à coup, d'une auberge voisine, un phonographe graillonne et vomit un refrain de café-concert, simule la voix ébréchée d'un pitre. Alors, le paysage fuit, l'air s'alourdit, comme empuanti par cet air canaille, la mélancolie et le rêve disparaissent, on est transporté devant les planches où s'agitent les ineptes fantoches. Hélas! on entend jusqu'aux applaudissements d'une foule ivre d'ineptie! On protège les paysages contre les affiches, qui, du moins, sont muettes. Qui les protégera contre le bruit, le bruit stupide et salissant? Mais voici le petit bateau blanc. Nous partons, cependant qu'un vieux pêcheur explique à un citadin la différence qu'il y a entre un canot et une yole.