Le chat de misère: Idées et images
Une fois par an l'Académie récompense la vertu, ou ce qu'on appelle ainsi, car la plupart des actions qu'un long discours nous vanta sur le mode accoutumé semblent moins dictées par la vertu que par la nécessité. Elles n'en sont pas moins fort louables, mais j'ai bien le droit de supposer que la plupart des gens vertueux exaltés sous la coupole préféreraient à la vertu quinze mille livres de rentes. Cela ne les empêcherait pas de continuer à être vertueux, mais ils le seraient d'une autre manière et qui attirerait moins l'attention des personnes charitables. Car c'est en personne charitable, bien plutôt qu'en juge du bien et du mal, que se transforme annuellement l'Académie, et c'est en quoi elle fait bien. Cependant, puisqu'elle ne trouve jamais d'actes de vertu parmi les gens hors du besoin, et qui sont pourtant et de beaucoup les plus nombreux, je voudrais qu'elle cessât de qualifier cette distribution de secours du nom de prix de vertu. Ou bien, faut-il être pauvre pour être vertueux? Je crois que c'est justement le contraire et que le vrai dévouement ne se montre que là où il n'est pas obligatoire, je veux dire nécessité par les circonstances. La solennité de cette cérémonie académique, qui se répercute à l'infini dans les journaux, n'a pas peu contribué à faire croire au monde que, dès qu'on manie quelqu'argent, on devient incapable de vertu, c'est-à-dire, en somme, de maîtrise de soi-même. Et il est assez curieux que ce soit une compagnie élue, dit-on, pour maintenir en droit chemin la langue française, qui détourne ainsi les plus beaux mots de leur sens. Tout cela sent l'emphase incohérente du xviiie siècle.