Le chat de misère: Idées et images
Voici le châtiment!
V. H.
La voiture s'est arrêtée rue de Rivoli, pas loin de Jeanne d'Arc. Soudain une vieille Anglaise, de mine décente, heurte les vitres et débite d'une voix rapide et rude je ne sais quel boniment implorateur, en brandissant des feuillets de papier. On lui ouvre et le papier, échangé contre quelque monnaie, reste votre propriété. Quelque tract biblique? Quelque appel dissimulé à la charité? Non, la vieille Anglaise fait un petit commerce fort décent. Elle vend aux curieux ou aux pèlerins une Ode à Jeanne d'Arc qui ne s'étend pas sur moins de trois pages et qui respire le plus pur, le plus fulgurant, patriotisme. Voilà le châtiment! Ce n'était vraiment pas la peine de la brûler, messieurs les Anglais, pour être obligés, quelque cinq siècles plus tard, de déléguer à Paris une de vos honorables compatriotes pour vendre, à ses pieds même, une «Ode en son honneur»! Elle est très mauvaise, à la vérité, cette ode, qui d'ailleurs n'est pas une ode, mais une suite de strophes d'une belle platitude, mais pas beaucoup plus, peut-être, que tout ce qu'a inspiré l'illustre guerrière. Le châtiment n'en est que plus éclatant. Il est véridique. La pseudo-ode en question ne se recommandant nullement par sa valeur poétique, l'hommage à Jeanne d'Arc n'en est que plus sincère, étant plus nu. On n'achète pas ces couplets pour l'amour de l'art, mais pour l'amour de Jeanne d'Arc, et c'est une Anglaise qui les vend. Il faut que les cantiques soient médiocres. Les saints comme les dieux en sont mieux honorés. Pindare chantait les héros avec son génie. Aussi n'est-il guère populaire. L'ode de la rue de Rivoli, étant sans génie, sera mieux appréciée de la foule. Puis ce sont les Anglais qui nous l'offrent. Enfin!