Le chat de misère: Idées et images
Ce n'est pas de leur sort matériel et extérieur que je veux parler, mais de celui que leur font le soin ou la négligence des éditeurs. La négligence est ce qui les attend le plus souvent. Dès que l'auteur est mort, il n'y a plus guère à compter sur personne pour assurer la correction d'un texte. Un amateur fervent d'Alfred de Vigny m'écrit pour me signaler les fautes dont est semée la seule édition courante de ses poésies. C'est un mal sans remède. Déjà deux ou trois anthologies en ont copié tranquillement les défectuosités et imprimé, à tel passage, le mot neige pour le mot mer. Cette mauvaise leçon fera peut-être foi pendant des siècles. Pensez que l'on dispute encore sur la correction de tel et tel vers de Virgile. Nous n'avons jamais de textes absolument corrects, l'auteur même ayant souvent été le plus négligent des correcteurs, ayant été son propre bourreau, son propre saboteur. Je viens de relire plusieurs œuvres de Stendhal dans des éditions anciennes. Elles sont pleines de fautes. Je connais une édition de Maupassant, pourtant faite sous ses yeux, qui est d'une incorrection folle. En général, les éditions du xviie siècle, qui se vendent si cher et qui sont presque toujours si laides, sont déshonorées par des fautes grossières, par des incorrections presque invraisemblables. Eh bien, je dirai que cela n'a pas une grande importance, attendu que personne, hormis quelques maniaques, dont je suis, ne s'en aperçoit. Je vois de jeunes auteurs trembler pour la pureté de leurs textes et j'aime à les épouvanter par mon expérience, en leur démontrant que nul n'y prendra garde. Même, je crois qu'une faute d'impression flatte le maniaque qui la découvre, en lui apportant la preuve de sa perspicacité.