Le chat de misère: Idées et images
De quand date l'uniforme, devenu si profondément ridicule, des danseuses? Qui donc leur imposa une fois pour toutes ce maillot, ce tutu, cette jupe de gaze? J'avoue n'en avoir aucune idée, mais ce ne peut pas être très ancien, puisque la danse réglementée et sans caractère, la danse administrative date d'hier. Est-ce une importation italienne? Très probablement, presque tout ce qui est baroque en art nous venant de l'Italie. Pourquoi cela a-t-il duré, pourquoi l'attitude de la danseuse s'est-elle figée sous cette forme? Mystère, qu'explique seul le peu d'intérêt que nous avons toujours manifesté pour la danse, hormis, bien entendu, les abonnés de l'Opéra qui, dans la danse, goûtent surtout le foyer de la danse. Il est vraiment incompréhensible que tous les ballets sans exception, quel qu'en soit le sujet, en quelque siècle, en quelque lieu qu'ils se passent, soient toujours réglementés par un assemblage de femmes vouées à la pirouette et aux jetés-battus. Nous ne pouvons plus supporter cela, nous avons vu trop de bas-reliefs antiques, nous avons été trop impressionnés par Isadora Duncan. L'exemple de cette femme et celui des Grecs, dont elle s'est inspirée, nous ont appris que la danse n'est pas la gymnastique, que son élément principal n'est pas l'agilité, mais la grâce, mais le caractère. La grâce et le caractère sont impossibles avec le maillot et surtout avec la jupe de gaze. La danse s'exprimera d'autant mieux qu'elle sera plus libre. Il faut lui ôter cet attirail ridicule, qui, malgré ses prétentions à figurer des sylphides, est un alourdissement du corps. La danseuse doit être à peu près nue sous un voile flottant qui tantôt dérobe, tantôt accentue le jeu de ses membres, le roulis doux de ses muscles. Mais il n'est pas que la danse grecque; il faut que la danse puisse revêtir tous les costumes et figurer toutes les attitudes. Les petits monstres hiératiques javanais, chargés comme des idoles, étaient autrement gracieux et légers qu'une demoiselle en tutu, même la mieux articulée.