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Le chat de misère: Idées et images

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Un des endroits les plus singuliers et aussi les plus beaux que je connaisse est la petite station de chemin de fer nommée La Londe, aux environs de Rouen. Outre la gare, elle se compose d'une maison unique, une auberge, et où qu'on regarde, on n'aperçoit aucune autre trace de vie humaine ou animale. Tout autour, très loin, ce sont des arbres, l'océan des arbres. Ce lieu semble la solitude même. Si des hommes habitent aux environs, ils sont bien dissimulés. Leur présence ne se traduit que par des routes solitaires qui coupent la forêt. Ces routes mènent quelque part, servent à quelque chose, mais je ne m'en suis jamais aperçu que par le raisonnement. Les trains circulent avec sérénité parmi ces futaies. Un peu plus loin, sur une ligne convergente, il y a une station plus modeste encore, également égarée sous les hêtres, et dont le nom pittoresque m'a souvent intrigué. Elle s'appelle Le Hêtre-à-l'Image et ne s'entoure non plus que de rameaux presque impénétrables, sinon aux sylvains. Ainsi devraient s'appeler les habitants de ce bois, s'il y en a: jamais nom aurait été mieux mérité. Je me souviens d'avoir rencontré non loin de là, à l'auberge de Canteleu, de l'autre côté de la Seine, au-dessus de Croisset, une petite fille qui me parla longtemps de la forêt, et avec quel amour! Par un instinct merveilleux, elle s'y reconnaissait d'après l'odeur des diverses essences qui la peuplent, et jamais on ne lui aurait fait prendre, les yeux fermés, un canton de hêtres pour un canton de chênes. Sylvaine véritable, elle était née pourtant dans les plaines du Nord, et pleurait à l'idée de quitter, un jour prochain, le pays des arbres. L'océan forestier et l'océan marin inspirent la même tendresse à leurs hôtes: aussi bien, c'est pareille féerie.


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