Le chat de misère: Idées et images
On enterrait ces jours-ci, en grande pompe, un chien. Il y eut un cortège. Un valet vêtu de noir portait sous son bras la comète (petit cercueil d'enfant). Il y avait des fleurs. Enfin, l'inhumation se fit au caveau de la famille, non de la famille du toutou, de la familles des maîtres du toutou. Il paraît que ladite famille était plongée dans la désolation et que la mère poussait des cris à fendre l'âme. C'est le symptôme aigu d'un état d'esprit assez curieux, d'un stade des mœurs où le chien de la maison est assimilé à l'enfant de la maison. On en connaît les diverses manifestations habituelles, mais celle-ci, étant plus inattendue, frappera davantage. A vrai dire, si les cimetières de chiens sont des inventions fort modernes, les monuments élevés à des chiens, les épitaphes canines aussi, sont des vieilleries. Il y a une épitaphe d'un chien dans Martial. Elle est même fort jolie. Il y en a une autre d'un poète inconnu, dans l'Anthologie de Burmann, qui n'est pas laide: «J'étais blanche. Je m'étendais mollement sur le sein de mon maître et de ma maîtresse; et quand j'étais lasse, je me reposais sur leur lit. Je suis morte en mettant bas au milieu des douleurs; et maintenant la terre cache ma dépouille sous un petit monument de marbre.» Ce chien n'était-il pas très aimé pour qu'un poète ami de la maison, ou peut-être son maître lui-même, ait dédié ces agréables vers à sa mémoire. Il eut son monument de marbre; il fut traité comme un Romain. Le christianisme avait mis une distance énorme entre l'homme et les animaux. La vieille fraternité se renoue. On ne voit pas bien pourquoi, honorant les restes humains, on mépriserait les restes d'un chien qui nous aima fidèlement. Le ridicule de la manifestation susdite s'abolit peut-être dans le sentiment.