Le chat de misère: Idées et images
J'ai envie de prendre la défense des paysans qui se détournent d'un pendu, qui ne le décrocheraient à aucun prix. Je sais bien qu'ils n'agissent ainsi que par peur des soupçons, pour ne pas risquer d'être compromis dans des histoires obscures, pour éviter même d'être interrogés comme témoins. Mais il se trouve tout de même qu'avec ces prétextes peu honorables, ils servent la liberté de celui qui a voulu mourir. Il est difficile de croire, quand on rencontre un pendu, que le vent balance à un pommier, que l'homme s'est accroché là par hasard, accident ou distraction. Il s'est mis dans cette situation parce qu'il avait des raisons pour en finir avec la vie et que le moyen passe pour assez sûr. Pourquoi lui rendre cette vie dont il ne veut plus? Il en a fini, il a eu la sensation de mourir. Le dépendre et le faire revivre, c'est le condamner à mourir une seconde fois. De fait, la plupart des dépendus qu'on a réussi à ravigoter se rependent dès qu'on a le dos tourné. Cette vie à laquelle vous tenez, vous, l'heureux dépendeur, elle fait horreur au pendu. Vous lui remettez sur les épaules un fardeau qu'il avait réussi à déposer à terre et vous le lancez à nouveau dans l'existence! Croyez-vous qu'en le rappelant à la vie, vous lui avez fait un cadeau bien agréable? Lui avez-vous d'abord rendu la femme ou l'enfant, ou l'argent qu'il avait perdus? Avez-vous d'abord changé son caractère et la couleur des lunettes avec lesquelles il regardait la vie? Allez, c'est le paysan qui a raison, non pour les motifs qu'il se donne, mais pour ceux que j'ai exposés. D'ailleurs, il y a beaucoup de chances pour que vous ne rencontriez jamais un pendu sur votre chemin.