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Les aventures d'une fourmi rouge et les mémoires d'un pierrot

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XX
RETOUR AU PAYS.—REVOIR LA LANDE DE PORA ET MOURIR.

Toute chose a son revers!

Certes, je vivais au milieu de la plus belle nature qui se puisse voir; mais déjà deux mois s’étaient passés et non sans désenchantement. Jamais on ne pourra se rendre un compte exact de la population qui grouillait sous les plantes et les herbes qui couvraient le sol. Je ne pourrais plus compter le nombre de fois où je jouai ma vie dans une fuite précipitée, agrémentée de toutes les ruses que me fournissait mon cerveau.

Sous les pierres c’était encore pis! Je ne rencontrais que serpents, que scorpions, que centipèdes, que tarentules gigantesques... Jamais l’imagination des hommes n’a inventé de monstres plus horribles que tous ceux-là!

Il ne faut pas se dissimuler, non plus, que je vieillissais: mes anciennes blessures me faisaient souffrir et se rouvraient quelquefois; les rhumatismes étaient venus, et je sentais bien que ma légèreté me faisait défaut dans mes nombreuses escarmouches. Je le compris... il était temps de regagner le pays natal.

Comment faire?

Je me rapprochai de l’habitation: maintenant, j’en connaissais tous les abords.

L’occasion ne tarda pas à se présenter, plus belle que je n’aurais osé l’espérer. Mon ancien hôte, le cavalier, repartait pour la France et devait en ramener sa femme et ses enfants, et s’établir dans une habitation voisine qu’il avait achetée. Je résolus de le suivre.

Remonter dans ma poche de cuir, être emporté par lui à cheval fut l’affaire d’une minute.

Je ne pus pas partir sans jeter à cette belle nature un dernier coup d’œil auquel se mêlait, malgré tous mes ennuis, un sentiment de regret. Un léger brouillard d’automne glissait, lentement chassé par la brise du matin et, après les adieux, le silence de la plaine ne fut interrompu que par les cris des oiseaux rieurs et des Kacatoës qui se répondaient d’arbre en arbre; par ceux des canards sauvages qui s’ébattaient sur les rives du Yarra dans les joncs et les lagunes. Quelle grandeur dans ce silence! Il me fit penser à la lande de Pora: elle aussi était belle au matin, enguirlandée des fils de la Vierge, emperlée de rosée!

A midi, nous étions en bateau: les malles avaient été envoyées la veille. Je m’établis dans la cabine qu’il avait fait arranger à sa fantaisie, car l’administration les fournit nues.

Bientôt l’Australie disparut à l’horizon. J’allais donc rentrer au logis! Le bateau, le Marlborough, touchait à Rochefort! Ce Marlborough était un magnifique vaisseau frégate de 1200 tonneaux; jamais je n’avais vu un pareil luxe; je vivais inconnue chez mon protecteur comme dans un palais enchanté; d’autant plus qu’en aménageant notre cabine, il avait adopté une fermeture spéciale qui empêchait l’entrée de toute espèce d’insectes.

Le soixante-dix neuvième jour de notre traversée, nous étions à quai à Rochefort: nous descendîmes ensemble, mon compagnon et moi, et je sautai précipitamment sur le quai. Dire quels sentiments agitaient mon cœur est impossible: j’étais si heureux de reconnaître chacune des maisons de ce quai que j’avais habité dans le temps, qu’il me sembla reconnaître en même temps jusqu’aux paniers contre lesquels j’avais ramassé du sucre... et à tout cela se mêlait comme le sentiment d’avoir échappé à un grand danger... celui de ne plus revoir mon pays!

Le Marlborough ne faisait à Rochefort qu’une escale de quelques heures pour déposer au consulat français des papiers intéressants qu’on ramenait en France, et bientôt je revis la vapeur s’élancer sifflante et emmener mon protecteur auquel j’envoyai, du fond du cœur, avec ma reconnaissance pour les services inconscients qu’il m’avait rendus, tous les souhaits de bonheur possibles.

Mon premier soin fut de gagner la campagne, avec autant d’empressement aujourd’hui que j’en avais mis, dans ma jeunesse, à la quitter en me laissant emporter dans la nappe de Tabis et en fuyant de la préfecture pour venir au port.

Il est vrai que mes voyages et mes aventures m’avaient donné une expérience précieuse. Je savais maintenant m’orienter et cheminer le long des chemins et des sentiers, en me tenant à l’abri des ennemis de notre race. Et puis, l’avouerai-je, je me sentais pleinement rassuré dans mon pays: il me semblait si pauvre en insectes courants, grouillants de toutes parts, comparé aux solitudes tropicales, que je l’aurais volontiers déclaré un désert inhabité, si le cri du pivert dans le lointain et la vue de certains entonnoirs dont je me tenais prudemment éloigné, ne m’eussent rappelé que la sagesse enseigne à se tenir, partout et toujours, sur ses gardes. C’est ce que je fis pendant la longue route qu’il me fallut entreprendre, car cette distance, parcourue jadis en quelques heures par la voiture qui m’emporta, me demanda cinq mortelles journées de marche.

J’arrivais, à l’automne, aux environs du bois natal. Je voyais, près de moi, le troglodyte à la queue relevée qui suivait les haies dans le fond du fossé. Le rouge-gorge, au-dessus de ma tête, chantait sa chanson d’hiver sur les plus hautes branches d’un maigre pommier déjà dénudé de ses feuilles. Cet arbre est le premier nu, le dernier habillé!

Ah! je reconnais des voix amies! Là-bas, vers la lande, causent des pies qui jacassent leur chanson criarde avant de se répandre dans les champs à la chasse des vers de terre. Au haut de quelques sapins qui marquent la lisière du bois, j’entends deux merles susurrant joyeusement en se poursuivant de branche en branche: puis, caquetant comme des petites poules, voilà que j’entends venir une compagnie de perdrix! Cachons-nous! Je les vois picoter dans le sentier poudreux, à la recherche de mes pareilles! Elles font voler la poussière de leur bec impatient qu’elles frappent sans relâche contre la terre, plutôt par habitude que pour y ramasser une nourriture quelconque. La poule fait ainsi.

Dans l’arbre sous une écorce duquel je m’étais caché, j’entendais une compagnie de petites mésanges à tête noire monter, descendre et piper à qui mieux mieux. Alertes, turbulentes, elles vont échenillant, nettoyant... Cachons-nous vite ailleurs! Le danger est là!...

Je dus fuir une seconde fois précipitamment devant ces petits becs dangereux dans leur fouille minutieuse des écorces.

Que disais-je donc que mon pays était inhabité, désert? que le danger ne s’y présentait sous aucune forme? Hélas! le danger y existe comme partout. La vie, dans notre monde sublunaire, n’est qu’un combat; vœ victis est la loi générale!

Et j’arrivai cependant peu à peu à la lande de Pora... ô ma belle patrie!

Voilà donc le carrefour des chemins avec la croix obligée: bâtie en bois, elle porte sur sa tige principale une petite niche, grillée de fer, dans laquelle la piété du paysan a placé une bonne Vierge de plâtre. A droite et à gauche de la croix, un tilleul énorme, mais bientôt sans feuilles, étend ses branches bienfaisantes et offre une ombre épaisse, en été, au voyageur fatigué.

La barrière du champ voisin est renversée; la porte est ouverte, et je vois le laboureur passer en chantant sa chanson et guidant sa charrue, dont l’essieu crie lamentablement. Il suit le large chemin de la lande; ce chemin des pays pauvres avec sa physionomie toute particulière. Quel bonheur pour moi de revoir la terre rouge apparaissant le long des grandes ornières qui se croisent en cet endroit où le chemin semble s’étaler sur la campagne, tandis que plus loin, en meilleur endroit, nous le verrons étroit et encaissé!!...

Une heure après, j’avais passé sur les pierres blanches et j’arrivais au milieu des miens. La fourmilière avait été réparée, reconstruite après la catastrophe de la découverte du trésor.

Je trouvai là de nombreux enfants qui ne me connaissaient point; mais quelques vieilles fourmis de mon âge existaient encore et hantaient l’infirmerie, qui, en me regardant fixement dans les yeux un moment, me reconnurent... Bientôt nous avons croisé les antennes et parlé des souvenirs d’autrefois!

QUELQUES VIEILLES FOURMIS HANTAIENT L’INFIRMERIE.....

Ce fut une ovation véritable lorsqu’on sut qu’Hercule était revenu! Je suis le héros légendaire de toutes les fourmilières de la contrée. Maintes fois j’ai dû conter aux enfants mon odyssée, et, certes, je n’ai pas fini!

Puissé-je leur inculquer ainsi la prudence et la vertu!


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