← Retour

Les aventures d'une fourmi rouge et les mémoires d'un pierrot

16px
100%

VI
VILLÉGIATURE.—LE TRÉSOR.

Si vous me demandiez compte de mes journées, je vous dirais que je les laissais passer au milieu des courses les plus charmantes dans les bois, la lande et les environs. Mes esclaves fonctionnaient parfaitement: nos larves étaient bien soignées, les bâtiments entretenus en bon état, la saison douce et clémente; jamais je ne fus si heureux, aussi chaque matin imaginai-je une excursion nouvelle.

C’est ainsi que je découvris les fourmis charpentières, que je ne connaissais pas, et auxquelles on donne, je crois, le nom latin de Formica fuliginosa. Leurs travaux sont merveilleux et bien autrement considérables que ceux de plusieurs autres insectes charpentiers que j’avais vus à l’œuvre, et cependant, de même que les guêpes et les abeilles charpentières, elles n’ont pour outils que leurs mandibules. Mandibules toutes simples et qui n’approchent cependant ni de la construction de la tarière ou lime des Cicadées, ni de la scie des Tenthrédinés.

Ces petites charpentières ont l’air, au contraire de nous, d’être un peuple de nature inférieure et qui ne connaît de plaisir que travailler. Elles sont dans un mouvement perpétuel: il est vrai que la vie doit être si pénible pour elles, que je ne puis que les plaindre de s’entêter à se cacher comme elles le font dans le bois des arbres, au lieu de se faire bâtir un palais au grand air par des esclaves asservies.

Je m’approchai de la porte, histoire de parcourir l’intérieur de ce logis d’une nouvelle espèce. Je n’avais aucune mauvaise intention, mais voilà une sentinelle qui me barre le chemin. Ce serait une erreur de ne pas les croire courageuses et fortes pour leur taille.

Comme je ne voulais pas lui faire de mal, je la prends délicatement par la taille et, la faisant passer par-dessus ma tête, je la jette tout bonnement derrière moi... Ah bien! ce fut alors l’occasion d’un tapage infernal. En moins de rien, j’en avais dix, vingt sur les bras! Au loin le rappel battait, je vis bien que j’allais avoir toute la séquelle après moi...

Je voulus parlementer: impossible; ces forcenées parlaient un patois informe et n’entendaient pas raison. Je ne pouvais pas, décemment, reculer devant de tels pygmées avant d’avoir vu ce que je voulais voir. J’en pris donc, un peu brusquement, une demi-douzaine l’une après l’autre et les envoyai, à la volée, rejoindre la première...

J’avançais toujours au milieu de la multitude qui me pressait de toutes parts et j’atteignis ainsi le fond du vestibule; mais là une amère déception m’attendait... la porte était trop petite pour moi!...

Ce n’est pas étonnant, ces peuples bornés n’ont pas l’habitude de recevoir des gens de notre importance!

Je rétrogradai donc noblement, non sans avoir jeté un coup d’œil prolongé sur l’intérieur de l’habitation par la porte et par les fenêtres du premier étage, auxquelles j’atteignais très facilement.

Le peuple me suivit quelques pas en dehors de la souche du saule dans laquelle la république était établie, mais je m’arrêtai, et tous se hâtèrent de rentrer: ils craignent et le grand jour et le grand air. Néanmoins j’avais acquis quelques connaissances de leur organisation.

D’un côté, je découvris des galeries horizontales, mais le regard ne pouvait en embrasser longtemps le développement, parce que les murs suivaient la direction circulaire des couches du bois, et, d’un autre côté, parce que les galeries parallèles étaient séparées par de très minces cloisons n’ayant de communications entre elles que par de rares ouvertures ovales. Je dois avouer que ces travaux étaient remarquables par leur délicatesse et leur légèreté.

Au premier, j’avais eu le temps d’apercevoir des chambres séparées, faites dans les galeries au moyen de petites cloisons transversales élevées çà et là. Je vis des portes préparées par un trou rond encaissées entre deux piliers découpés dans le mur. Mais, plus loin, les sculpteurs étaient à l’œuvre: les piliers, à l’origine courbés aux deux bouts, devenaient des colonnes régulières. Ce qui me semble le plus remarquable à cet étage, c’est la manière dont sont ménagés les piliers qui doivent le supporter et qui sont pris dans les cloisons des galeries parallèles, que l’on réunit pour faire une grande halle.

Ce qui m’a étonné au dernier point, c’est que tout le bois que ces fourmis taillent est teint en noir, comme par de la fumée. D’où cela vient-il?... Ma foi, je n’en sais rien. Est-ce un gaz émané des fourmis? Est-ce une teinture fournie par leur salive?

Depuis quelque temps déjà j’entendais résonner des pas d’hommes autour de moi, car nous avons l’oreille si fine que nous les entendons, ainsi que les autres animaux, bien avant qu’ils puissent nous apercevoir. Je me retourne et j’aperçois deux hommes qui semblent chercher des yeux quelque chose dans le bois, regardant sur le sol, comptant un certain nombre de pas dans des directions différentes.

—Peste soit du vieux podagre, dit l’un, il avait perdu la tête de frayeur, et nous ne retrouverons jamais rien!...

—Qui sait? reprend l’autre, il n’était pas si sot que vous le croyez.

—Peuh! prendre pour indice un arbre, c’est déjà stupide.... Il peut être coupé... mais ne pas le marquer, ne pas le désigner d’une manière sûre, c’est insensé!

—Le fait est...

—Où veut-il, à présent, que nous trouvions son arbre?...

—C’est vrai,... cela n’est pas facile...

—Pas facile!... Impossible! voulez-vous dire. Il y en a dix ici qui répondent au signalement voulu.

—Remuons un peu ces buissons...

—Ah!!!...

—Quoi?...

—Le tapis!!!...

—Quel tapis?

—Le voilà!!! Les fourmis l’ont amené à la surface du sol!!!

—Quelle chance!...

Je me hâtai de rentrer à la fourmilière, car le soir venait à grands pas, mais le repos ne vint point pour moi.

A peine la nuit fut-elle faite, que des coups violents éveillèrent les échos des bois, notre maison vola en éclats, la pelle et la pioche fouillaient notre belle construction si laborieusement élevée... Les larves chargées sur nos esclaves furent le précieux bien qu’on chercha à sauver.

Vous eussiez vu nos fidèles esclaves courir de tous côtés, au milieu de la nuit, s’aidant les unes les autres, s’efforçant de mettre en lieu sûr l’espoir de notre race. Oh! la terrible nuit!... Quel lamentable spectacle, que ces pauvres insectes fuyant éperdus sous les rayons blafards de la lampe des chercheurs!

—Ah! les maudites fourmis! disait l’un, comme elles mordent!

—Plains-toi donc! sans elles, tu n’aurais jamais trouvé notre affaire.

—C’est égal, elles pincent comme des diables. Au fait qu’est-ce que cela leur importe la monnaie du grand-père!...

—Mais leur nid que tu bouleverses, leurs larves que tu détruis...

La reine des termites.

—Haie!... haie!... Tape et dur!...

Bientôt, sous les éclats de la lanterne, sortirent de terre, au milieu d’une admirable nappe de damas or et soie cramoisie, une cassette et des vases d’argent admirablement ciselés... Tout cela brillait dans l’ombre noire du bois et de la nuit, c’était magnifique!

—As-tu la clef du bonheur?

—La voilà, frère!

—Donne!... Par Dieu, grand-père avait eu une fameuse idée de la laisser dans sa chambre avec son manuscrit.

Il ouvrit la cassette, l’or et les diamants ruisselaient sous ses doigts.

—C’est bon, referme-la et partons!...

Ils refermèrent précipitamment la cassette, enveloppèrent le tout dans la nappe de tabis, puis la nappe elle-même dans un de leurs manteaux, éteignirent la lanterne et disparurent dans la lande.

Chargement de la publicité...