← Retour

Les aventures d'une fourmi rouge et les mémoires d'un pierrot

16px
100%

XII
LA DERNIÈRE AMIE

Un jour de l’été dernier, vers le mois de juin, Claire et sa mère travaillaient dans le salon, pendant que j’étais perché à ma place habituelle, sur l’épaule de la jeune fille, où je jouais avec sa coiffure et avec ses cheveux. Tout à coup, nous entendîmes un certain bruit derrière le paravent de la cheminée, bruit suivi de petits cris plaintifs. Ces dames y coururent et trouvèrent une jeune hirondelle de cheminée qui, sans doute, était tombée du nid et avait eu la chance d’arriver en bas sans se faire du mal.

Prendre la pauvre hirondelle toute haletante, la réchauffer, la rassurer, en un mot, fut l’affaire d’un moment. On la plaça sur un lit de coton, dans une petite boîte, puis l’on discuta la question de sa nourriture. Claire savait que les mouches, cousins et autres insectes analogues, forment la pâture habituelle de cette espèce d’oiseaux; aussi se mit-elle en devoir d’en récolter assez pour élever la petite orpheline à laquelle elle donna de suite le nom de Titi, pour imiter le petit cri que la pauvre bête poussait sans cesse.

Tout cela ne m’amusait guère; pendant ce temps on ne s’occupait pas de moi! Cependant, je patientais encore, tout en rongeant mon frein et maugréant contre l’intrus qui allait me ravir, je ne le prévoyais que trop bien, la moitié de l’amitié de ma Claire bien-aimée.

Nous sommes très jaloux, nous autres moineaux!

On donna d’abord à l’hirondelle des fragments de mouches, puis des mouches entières. On avait mis la boîte servant de berceau ou de nid dans une petite cage semblable à la mienne, et la jeune hirondelle affectionna toujours ce réduit pour passer la nuit. Il fallait bien la faire sortir de ce nid où, frileuse, elle rentrait d’elle-même chaque soir, pour qu’elle mangeât; mais le caractère propre de cet oiseau se manifesta bien vite, et ma maîtresse, comprit qu’il fallait agir comme sa nouvelle protégée le voudrait.

Mlle Titi n’aimait pas à être prise par le corps,—moi, cela m’était bien égal, au contraire;—on lui présentait donc le doigt comme à une petite perruche, et ma foi, elle s’élançait dessus avec une grâce et une légèreté remarquables. Mlle Titi n’aimait pas à être mise en cage, quoique celle-ci fût ouverte,—nous étions tous les deux du même avis là-dessus.—On la plaça sur le rebord de la table à ouvrage, et elle s’y tint, gazouillant et faisant, pendant des heures entières, des conversations suivies avec sa maîtresse, lustrant ses plumes noires, étirant ses ailes et sa queue, tournant la tête et nous regardant de ses gros yeux noirs brillants.

De temps en temps, Claire ou sa mère prenaient dans une petite boîte quelques mouches et les présentaient à l’hirondelle qui dardait sur elles, entre les doigts, son petit bec agile et ne les manquait jamais. Rarement elle les ramassait sur la table; il fallait pour cela qu’elle eût grand faim. La première fois que je vis ce dédain, je sautai de l’épaule de Claire sur la table et happai les mouches avant que Mlle Titi sût comment cela se faisait. Titi, effrayée de mon approche, essaya de me donner un coup de bec que je lui rendis; mais ma maîtresse me reprit, et m’appelant:—gourmand!—me remit sur son épaule.

Un jour, par une belle soirée, Titi était à sa place habituelle sur la table à ouvrage, quand, tout à coup, elle pousse un petit cri, ouvre les ailes, et se sauve rejoindre ses compagnes qui volaient en troupes nombreuses au-dessus des pelouses du jardin...

—Tant mieux! pensai-je, la voilà partie; autant de débarras!

Je me mis aussi à prendre ma volée, et fus me percher sur un toit voisin pour voir ce qui allait arriver. Ma Claire et sa mère étaient comme foudroyées et se montraient inconsolables. Elles restèrent longtemps à la fenêtre à regarder l’infidèle, à la deviner dans ses courses folles, à la chercher au milieu du va-et-vient général de la bande joyeuse.

Je revins alors me poser sur l’épaule de Claire, qui me dit en m’embrassant, les larmes aux yeux:

—Toi, mon pauvre Pierrot, tu m’aimes bien!...

—Oui, oui, oui! répondis-je; et je repartis me mettre en observation sur mon toit.

Claire descendit alors au jardin et appela Titi de sa voix la plus douce, la plus caressante; rien n’y fit. Elle rentrait désolée, quand elle entendit un léger frôlement sur son épaule; un cri arriva à son oreille... C’était Titi qui revenait, et qui avait le front de prendre ma place. Pour le coup, je n’y tins plus, et fondis sur elle comme un ouragan... Mais Claire prit sa défense, me donna l’autre épaule et m’embrassant:

—Pierrot chéri, me dit-elle, si tu es jaloux de Titi, je ne t’aimerai plus!

Je ne répondis pas. J’avais le cœur trop gonflé.

—Tu ne me réponds pas? me dit-elle. Allons, monsieur, embrassez maîtresse, et embrassez aussi Titi.

Il en fallut passer par là.

Depuis ce jour, Titi eut sa pleine liberté comme moi, et n’en abusa jamais. Le matin, dès le point du jour, elle nous réveillait, Claire et moi, par un gazouillement très gentil, car elle couchait comme moi dans la petite chambre de sa maîtresse. Celle-ci ouvrait la fenêtre, Titi partait, moi aussi, et nous revenions au bout d’une heure, car chaque jour je m’apercevais qu’elle était bonne personne et je ne lui refusais pas mon amitié.

Pauvre Titi! Je l’aimais bien, quand... Enfin, Dieu l’a voulu!...

Si la fenêtre était fermée, elle allait au salon prendre sa place habituelle sur la table à ouvrage, et moi je rôdais dans la cour, aux environs de la salle à manger. Dans la journée, elle allait et venait, sortait pour voler avec ses compagnes, rentrait, faisait un tour dans le salon, nous saluait d’un ramage joyeux auquel nous répondions, et repartait sans s’arrêter. Pendant ses courses, j’allais faire la causette avec quelques vieux amis du voisinage, ou visiter les treilles pour voir si les chasselas étaient mûrs.

Aux heures des repas, Titi rentrait et prenait place sur l’épaule qui lui était dévolue, puis Claire nous apportait ainsi tous les deux... Ah! le bon temps!

Quoiqu’elle ne voulût manger que des mouches, on parvint à lui faire attaquer un peu de viande de poulet cru ou cuit ou coupée en long comme de petites larves ou des vers; mais elle ne s’en montra jamais friande. Je ne comprends pas qu’on soit si difficile que cela! Moi, je m’en régalais, et tout ce qu’on servait était de mon goût; aussi, vous voyez, je suis encore là, solide au poste et vigoureux, tandis que la pauvrette!...

Mais les mois s’écoulaient, septembre était venu, et avec lui les mouches disparaissaient.

Je lui avais souvent dit, à cette pauvre Titi:

—Méfiez-vous de l’hiver; apprenez à manger de la viande; les moucherons ne vivent pas toujours, comment ferez-vous?

—Dieu y pourvoira, répondait-elle de sa petite voix gracieuse.

—C’est égal, amie, faites attention à vous! l’hiver viendra!

—Je ne connais pas l’hiver.

—C’est égal, craignez-le; j’ai l’expérience, croyez-moi.

Pauvre tête folle, elle ne voulut rien croire!...

Les rayons du soleil commençaient à devenir obliques; ma chère Titi,—car je l’aimais véritablement et beaucoup,—ne sortait plus que rarement; ses compagnes se rassemblaient; tous ces signes nous attristaient beaucoup.

Un beau matin, toutes les hirondelles du jardin avaient disparu!... Nous étions au 8 octobre.

Ma bonne Claire ouvrit la fenêtre afin que la chère petite bête prît son élan et allât rejoindre les quelques hirondelles isolées que l’on voyait encore passer. Elle ne le voulut point, soit qu’elle eût froid, soit qu’elle se méfiât de la force de ses ailes, soit autre cause inconnue.

Il fallut revenir à la ville. Titi et moi, dans la même cage, fîmes le voyage sur les genoux de notre maîtresse; tout le long du chemin, je l’exhortais à partir, lui disant qu’elle reviendrait nous voir l’année prochaine, que nous penserions à elle, et que nous l’attendrions comme le printemps; rien ne put la décider et sans donner de raison, elle fut inflexible. Pauvre amie, elle courait à sa perte!...

A la ville, peu ou point de mouches. Comment ne pas mourir de faim?... Des petits morceaux de viande ne pourraient jamais la nourrir six mois! On tint un grand conseil, et j’entendis décider que la chère petite bête serait lâchée au-dehors, car il y avait encore assez d’hirondelles pour qu’elle pût les suivre.

Hélas! ma bonne maîtresse l’embrassa encore une fois, je lui dis un adieu bien tendre, on ouvrit la fenêtre, et Claire la lâcha dans le jardin... Nous avions tous les larmes aux yeux!

Elle fit quelques tours aux environs de la maison, puis partit à tire-d’ailes...

Nous refermâmes la fenêtre, le cœur gonflé!

Quelques jours après nous apprîmes que vers la même heure à peu près à laquelle nous l’avions lâchée,—que sont les kilomètres pour de pareilles ailes? Titi était revenue à la campagne. Elle avait becqueté la fenêtre du salon, puis celle de la chambre de Claire... Les trouvant fermées, elle avait longtemps jeté de petits cris plaintifs, puis, s’élevant à une grande hauteur, elle avait disparu...

A-t-elle péri du froid? A-t-elle pu rejoindre ses compagnes?... Ses jeunes ailes lui ont-elles fait défaut dans son long voyage?... Nul ne le sait, jamais on ne l’a revue!!...

C’est ainsi que j’ai perdu ma dernière amie! Aujourd’hui je suis vieux, morose, maladif; je réfléchis, je pense... Dévoué à ma charmante maîtresse, je l’aime et la caresse de tout mon cœur, attendant avec résignation que la mort vienne me frapper auprès d’elle.

FIN.


Chargement de la publicité...