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Les aventures d'une fourmi rouge et les mémoires d'un pierrot

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III
L’ÉLECTION DU ROI DES OISEAUX

Nul animal, nul être et nulle créature
Qui n’ait son opposé: c’est la loi de nature.
D’en chercher la raison ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce qu’il fit, et je n’en sais pas plus.
(La Fontaine.)

A force de voler d’arbre en arbre, tout doucement et sans me presser, picorant à droite et à gauche un fruit, une graine, un insecte, j’arrivai quelques jours après aux confins de la vaste plaine où m’avaient amené tant d’événements imprévus. En cet endroit, l’aspect du pays changeait. Des arbres énormes s’élevaient autour de pelouses vertes et rases comme des tapis de velours, des ruisseaux y serpentaient avec grâce et de larges allées sablées en suivaient les contours.

Tout surpris de rencontrer une nature d’un aspect si enchanteur, je décidai que je m’établirais en ces lieux; mais, avant tout, je voulus me rendre compte de ce qui pouvait faire une si grande différence entre ce que je voyais et la plaine. Je me rendis bientôt compte qu’un long mur les séparait l’un de l’autre et que j’étais entré dans un parc immense attenant au château d’un des plus riches propriétaires de la contrée.

—Je planterai mes pénates ici! m’écriai-je. Où peut-on être plus heureux? Tout s’y montre à discrétion. Allons faire un tour du côté des cuisines!...

J’y allai et jamais je ne vis une telle abondance, une telle profusion de mets de toute espèce. Je rencontrai là des centaines de moineaux comme moi, qui avaient élu domicile dans le château ou dans ses environs, et qui prouvaient par leur embonpoint et leur prestance que la vie de parasite a ses charmes et son bon côté. La connaissance entre le nouveau venu et les hôtes habituels des cours fut bientôt faite: après quelques horions donnés et reçus, quelques compliments à droite et à gauche, je devins l’un des membres de la grande famille.

Cependant, moins paresseux que mes nouveaux compagnons, peut-être tourmenté par ma passion toujours inassouvie des voyages, je poussai vers le parc des reconnaissances dans lesquelles aucun d’eux ne voulut m’accompagner.

C’est pendant l’une d’elles que j’appris de la bouche du seigneur châtelain pourquoi l’Aigle était le roi des oiseaux, proposition qui me choqua extrêmement; car enfin, l’aigle est le plus fort, le plus hardi, le plus vorace de nos ennemis. Comment et pourquoi aurions-nous voulu en faire un roi? La coutume d’un roi est-elle donc de vivre de ses sujets? Qu’on en ait fait le roi des rapaces, soit; mais le roi des moineaux et des petits oiseaux chanteurs, de la tourterelle, du pigeon et des perdrix, cela me semblait absurde. Enfin, le seigneur l’avait dit!

Ce jour-là, j’étais en train de dévaliser un magnifique cerisier, à quelques mètres d’un banc de gazon entouré d’héliotropes et de réséda aux effluves odorants. Tout à coup, le propriétaire s’avance accompagné de sa fille, une adorable enfant blonde aux cheveux bouclés, aux yeux d’azur, une véritable figure de chérubin. Ils parlaient oiseaux.

—Père, disait l’enfant, ces vilains moineaux viennent, comme des souris, chercher les miettes de pain jusque dans la salle à manger; pourquoi donc le petit oiseau que nous venons de voir n’y vient-il pas aussi? Il est cependant bien plus joli qu’eux!

Entre parenthèse, je dois avouer que le goût du chérubin me semblait très contestable, car tout le monde est d’accord sur ce fait que la robe du moineau est plus gracieuse, plus élégante, mieux assortie que celle de tous les autres oiseaux. Hélas! Il faut en prendre son parti, le métier d’écouteur aux portes a quelques inconvénients.

Un perroquet s’élança sur le bâton du président.

—Parce que, ma bien-aimée, répondit le père, le Roitelet que tu voyais tout à l’heure voltiger d’arbre en arbre et de branche en branche, se suspendre aux rameaux, passe sa vie à chercher et surprendre des insectes. Or, je ne sache pas qu’il tombe, de notre nappe, des insectes sur les marches de la salle à manger!...

—Je le crois bien!

—Mais tu le verras, cet hiver, faire sa chasse jusque dans les massifs d’hortensias qui bordent le perron, et de là te regarder de ses grands yeux naïfs, sans avoir peur de toi; puis se remettre au travail en répétant sa petite chanson.

—Père, d’où vient ce nom de Roitelet? Veut-il dire petit roi?

—Oui, ma fille. N’as-tu pas vu sa couronne?

—Ah! oui. Une huppe d’or sur la tête?

—Précisément.

—C’est très gentil, ce nom-là!

—Tu trouves? Hé bien! d’autres auteurs prétendent que le nom de Roitelet ne vient point de la couronne, mais d’une légende...

—Oh! père, fit l’enfant, une légende! Conte-la-moi?

—Volontiers, chère mignonne. Asseyons-nous sur ce banc et écoute-moi quelques instants.

—J’écoute.

—Il y avait une fois...

—Mais c’est un conte, père, que tu me dis là!

—Une légende ou un conte, enfant, c’est souvent la même chose.

—Ah!...

—Il y avait une fois, dans un pays bien éloigné d’ici et dans le temps où les animaux parlaient, une assemblée générale de tous les oiseaux. Ils s’étaient donné rendez-vous afin de se choisir un roi. Naturellement, beaucoup d’opinions furent agitées, nombre de propositions sages et folles furent mises en avant. Les uns voulaient que l’on choisît le plus fort, mais les faibles n’étaient pas contents; d’autres le plus grand, mais les petits réclamaient; on proposa le plus haut, puis le plus bas, puis le plus gras et le plus maigre, puis le plus blanc et le plus noir...

—Père, tu te moques de ta fille!

—Non, chère mignonne; quand il s’agit de briguer les honneurs, tous les prétextes sont bons. Tandis que les avis se croisaient, que les cris augmentaient, quelques bonnes têtes réfléchissaient... Enfin, un certain perroquet qui avait vécu parmi les hommes, demanda et finit par obtenir le silence; il s’élança sur le bâton du président et parla à peu près en ces termes:

—Chers concitoyens, il est temps de prendre un parti et de cesser des criailleries inutiles. Tous vous avez les mêmes droits à la royauté, tous vous êtes également dignes d’occuper le trône. Qui est-ce qui fait l’oiseau? Ne sont-ce pas les ailes?... Hé bien! tous vous avez des ailes; donc, tous vous avez le même droit de vous asseoir sur le trône de notre auguste nation!...

—Bravo! bravo! cria d’une voix la troupe des compétiteurs. Vive Coco! Il a raison!

Puis le silence se rétablit.

—L’aile, c’est l’oiseau; donc la première aile sera le premier oiseau, c’est-à-dire sera notre roi. Essayons donc qui de nous aura la meilleure aile. La souveraineté appartiendra à celui qui s’élèvera le plus haut dans les airs; d’autant mieux, mes chers concitoyens, que s’approchant ainsi, plus que tout autre, du soleil, père de la nature, il sera plus à même que quiconque d’en rapporter les plus pures aspirations. J’ai dit!...

L’assemblée frémit de joie en entendant ce programme, et chacun, en secret, se mit à aiguiser ses ailes. On vota; l’épreuve fut décidée à l’unanimité. Maître Coco donna le signal et tous les concurrents partirent. Tu comprends, ma bonne petite, que l’Aigle ne fut pas le dernier à étendre ses ailes immenses: il s’élança majestueusement et monta à perte de vue, aux confins de l’atmosphère, y plana pendant une heure, se jouant des efforts de ses concurrents, et n’apparaissant plus que comme un point imperceptible aux yeux des millions d’oiseaux rassemblés. Lorsque tous ses compétiteurs fatigués eurent regagné le sol, l’Aigle plia ses voiles puissantes, se laissa descendre lentement, ainsi qu’il convient à un vainqueur, et s’adressant à ses électeurs stupéfaits:

—Suis-je bien votre roi?

—Oui! Oui! Vive l’Aigle! Vive notre roi!

—Un instant!... Pas si vite!... cria une petite voix frêle et aiguë. Modérez vos transports!... N’avez-vous pas juré de décerner la couronne à celui d’entre nous qui monterait le plus haut dans les airs?

—C’est vrai! dirent un grand nombre de voix.

—Hé bien! je me suis élevé plus haut que l’Aigle; car, blotti sous les plumes de son dos, où vous me voyez encore, il m’a, sans s’en apercevoir, enlevé avec lui, et je l’ai toujours dominé... Qui le nie?

—Il a raison!

—Il a tort!

Le tumulte est à son comble. La lettre même du serment donnait raison au petit oiseau.

Les électeurs se trouvaient dans un grand embarras.

Certes, le petit oiseau était dans son droit strict; mais comment songer à prendre pour souverain un pygmée semblable, aussi frêle qu’étourdi?... Comment pourrait-il représenter la puissante corporation des oiseaux?

A la fin, un vieux Hibou—c’est l’oiseau de Minerve—qui jouissait d’une grande réputation de sagesse, ouvrit ses yeux tout grands et fit signe qu’il voulait parler:

—Mes enfants, dit-il en grattant sa vénérable tête grise, mes enfants, le cas est grave, mais non insoluble. A mon humble avis, voici comment il faut dénouer cette difficulté. L’Aigle sera le roi, parce que seul et par ses propres forces, il est parvenu là où nul d’entre nous n’a pu arriver. Cela est incontestable.

—Oui, oui, c’est vrai!

—Bien! Proclamons-le donc roi.

—C’est cela! Vive le roi! Vive le roi!

—Très bien. Mais le texte du serment est contre nous. Quant à l’oiseau qui, sans l’Aigle, n’aurait pu atteindre les hauteurs de l’Empyrée, proclamons-le roi aussi! mais Roitelet, petit roi.

—Bravo! très bien! Vive le Roitelet! Vive le Hibou!

—Je demande la parole, fit la petite voix flûtée du Roitelet.

—Parlez, sire; nous vous écoutons.

—Vous avez tort, mes très chers amis; vous préférez l’Aigle pour vous gouverner: ma vengeance sera de vous laisser le beau roi que vous vous êtes donné. Il est certainement plus robuste que moi et que la plupart d’entre vous; vous en sentirez les effets! Mais je suis plus malin que lui, puisque je l’ai dupé sans qu’il le soupçonnât. Pauvre roi!... En vérité, je vous le dis et vous vous en souviendrez: l’intelligence vaut mieux que la force pour gouverner un État!

Cela dit, il s’envola, et on l’entendit murmurer dans les arbres voisins:

—J’aime mieux ma liberté, ô gué! Foin des ennuis du pouvoir! J’aime mieux ma vie, ô gué! mais je garde la couronne, ô gué!!!

—Et il disparut...

C’est ainsi que j’appris une légende qui concernait toute notre race. Le père et la fille s’éloignèrent, se tenant par la main, et je me perdis dans un océan de réflexions, toutes plus graves les unes que les autres.

Ma vie s’écoulait douce et facile dans le parc, lorsqu’un jour—jour néfaste!—je fus surpris par un danger mortel... dont sortit une de mes plus douces joies. Ainsi est faite la vie.

Je croyais le parc peuplé seulement d’animaux doux et débonnaires. Aussi, plein de confiance, je laissais endormir volontiers la circonspection qui ne doit jamais être abandonnée par un moineau sage. J’aimais à m’égarer dans les bosquets, j’aimais à voler sur les arbres isolés qui bordaient les pièces d’eau ou formaient point de vue au milieu des pelouses: la récolte des insectes et des vers y était abondante, et souvent je m’y trouvais seul. Un jour, posé sur la branche d’un tremble énorme avançant ses rameaux dénudés au-dessus de la rivière, je jouissais du silence alors complet de la nature. Midi avait sonné; tout était calme; les oiseaux chanteurs avaient cessé de faire entendre leur voix; quelques mouches seules bourdonnaient au bout des branches... A demi sommeillant, j’entr’ouvrais un œil alangui...

Tout à coup, un cri strident, sauvage, retentit et me fait lever la tête. Au-dessus de moi, dans le ciel, je vois briller deux yeux fixes, terrifiants, lançant des éclairs à vous donner la chair de poule... Entre ces yeux féroces s’élève un bec bleuâtre, crochu, menaçant, entr’ouvert par la soif du sang et surmonté de deux moustaches jaunes!...

Je frémis encore en y pensant, et mes plumes se hérissent comme elles le firent alors... Tout cela appartenait à un oiseau aux ailes immenses, immobiles dans l’air, découpées en rames puissantes... Jamais je n’avais vu, jusqu’alors, d’animal répandant autour de lui, comme celui-ci, l’idée du carnage et de la mort...

L’Émouchet qui, naguère, avait poursuivi ma chère Alouette, n’était qu’un mouton comparé à l’oiseau qui me menaçait. Que semblais-je, d’ailleurs, auprès de lui? Un atome. Son corps était plus gros que celui d’un pigeon, ses ailes beaucoup plus longues, sans compter qu’au lieu d’avoir des pattes comme les nôtres pour se percher sur les arbres ou marcher à terre, il tenait ouvertes, sous sa poitrine, de véritables mains prenantes; mains armées d’ongles crochus, coupants, acérés, terribles, armes affreuses qui devaient transpercer et déchirer vivante la pauvre victime qu’elles saisissaient...

Je compris, du reste, en cet instant fatal, que j’avais affaire, à mon tour, à un oiseau de proie, à l’un des destructeurs des petits oiseaux du bon Dieu... Horreur! J’étais sous la serre d’un Émerillon!...

J’ai su depuis que, pour être le plus petit des faucons de notre pays, il n’en est pas moins un des plus féroces, ou, comme disent les hommes, un des plus courageux! Beau courage, en vérité, que celui-ci, qui ne s’attaque jamais qu’à des animaux incapables de se défendre! L’émerillon ne vit que de perdrix, de cailles, d’alouettes et de petits oiseaux comme nous...

Ah! s’il s’adressait à ses pareils, ou seulement aux grands échassiers munis d’un bec solide, comme j’en ai connu plus tard! je comprendrais qu’on le dît courageux. Mais ainsi?... fi donc!!!

Enfin les hommes, m’a-t-on dit, trouvaient bien, il y a quelques centaines d’années, qu’il y avait du courage à s’en aller, bardé de fer des pieds à la tête, frapper d’estoc et de taille de pauvres diables de leur espèce qui n’avaient, pour se défendre, qu’un sarreau de toile sur le dos! Aussi, en voyant un oiseau déployer les mêmes instincts sanguinaires, ils l’ont nommé courageux et ont fait de son espèce le symbole des grands du monde et de la loi du plus fort! Tapi contre ma branche, je ne pensais certes pas à faire ces réflexions plus ou moins profondes; elles étaient hors de lieu, il fallait agir; je croyais déjà sentir les terribles tenailles m’étreindre et me déchirer.

Ce fut l’affaire d’un moment, la durée d’un éclair; malgré ma terreur, mon effarement, je ne sais comment un trou se présenta à ma vue; il était creusé dans la tige du tremble qui me portait. Ce trou devait être l’ouvrage d’un pivert. Plus mort que vif, je m’y précipitai tête baissée, comme un tourbillon, heurtant les parois, et tombai sur une animal endormi.

C’était un écureuil, qui, effrayé de cette invasion subite, n’eut pas le temps de faire usage de ses dents contre moi, bondit comme un ressort, me renversant au passage, et, d’un élan rapide, courut jusqu’à l’extrémité de la branche que je quittais. Arrivé là, il fit un temps d’arrêt pour se reconnaître... Mal lui en prit. Les deux grandes ailes se fermèrent promptes comme l’éclair; les serres s’ouvrirent et se refermèrent sur le pauvre animal, qui, poussant un cri suprême, se sentit enlevé dans les airs...

J’étais sauvé!...

Je conservais la vie, grâce au trépas de l’un de mes ennemis naturels! Le rapace, pour le dépecer à son aise, l’emporta sur la plus haute branche d’un arbre mort et isolé; et de là je le vis s’enlever après son horrible repas et chercher un lieu de repos favorable à sa digestion.

Ces oiseaux sont aussi défiants que cruels. Il leur faut, pour percher, un endroit isolé, d’où ils puissent dominer la plaine, et—comme ils ne dorment jamais que d’un œil—s’envoler au premier objet suspect...

Avisant un poteau isolé au milieu des champs, notre bandit se dirige vers lui, décrivant de défiantes spirales avant de l’aborder; puis, enfin, pliant ses grandes ailes, il y pose les serres avec précaution... Paff!... un ressort se détend, et mon ennemi est pris par les pattes! Ce poteau si commode était un porte-piège destiné aux rapaces qui décimaient les perdrix et les faisans du parc voisin!...

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