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Les aventures d'une fourmi rouge et les mémoires d'un pierrot

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MÉNAGES SUR MÉNAGES

Jamais je ne fus plus heureux que dans ce jardin béni des cieux. Abondance de biens, paix profonde, relations charmantes avec les moineaux les mieux élevés de la Capitale, en fallait-il davantage pour que mon sort fût digne d’envie?

Hélas! oui, il me manquait quelque chose! c’était un ami; le ciel fut assez clément pour me le donner.

Un des côtés du jardin est bordé par de hautes maisons, dont les fenêtres regardent au milieu des grands arbres. A l’une de ces fenêtres, je voyais, depuis mon arrivée, une cage suspendue contenant un Serin d’une couleur magnifique. Sa maîtresse devait aimer cet animal à la folie, car je la voyais, penchée vers lui, entretenir de longues conversations avec son oiseau de prédilection. Il est vrai que jamais je n’avais entendu ramage aussi velouté, trilles aussi éclatants que ceux du prisonnier, dont la grâce et la gentillesse m’avaient gagné le cœur.

Libre, je connaissais les angoisses de la captivité, et je me sentais porté vers ce charmant oiseau, autant par le sentiment de la compassion que par l’intuition qui nous porte à deviner un cœur prêt à nous répondre. Un jour, je m’approchai du Serin et, perché sur sa cage, je liai conversation avec lui.

—Bonjour, ami, lui dis-je, êtes-vous heureux?

Un peu effrayé de ma brusque apparition, l’oiseau se rejeta au fond de sa cage; mais, encouragé sans doute par la bienveillance de mon attitude, il me répondit:

—Oui, je le suis autant qu’on peut l’être en prison.

—Comment pouvez-vous juger cela, vous qui n’avez jamais joui de la liberté?

—Il est vrai: je suis né en cage; mes parents y avaient également passé leur vie, mais il y a au fond de nos cœurs une voix qui chante toujours la liberté.

—Pauvre, pauvre ami!

—Pourquoi me donnez-vous ce nom, je vous connais à peine? Il y a bien peu de temps que je vous vois dans les arbres d’alentour.

—C’est qu’il y a peu de temps que j’ai recouvré ma liberté chérie.

—Racontez-moi comment vous avez fait, je vous prie, me dit le prisonnier.

—Je le veux bien. Peut-être jugerez-vous sévèrement mon escapade, car je crois m’être montré ingrat... Mais, que voulez-vous? Nous sommes ainsi faits que l’immobilité nous est insupportable.

Je lui racontai ma vie, mes malheurs et mes voyages. De ce jour, une amitié solide nous unit.

—Vous avez l’air, lui dis-je, d’avoir une bonne maîtresse.

—Oh! certes.

—Elle vous aime?

—Beaucoup. Mais, vous l’avouerai-je, je suis las de la nourriture qu’elle me donne. Pauvre femme, si elle pouvait soupçonner cela, elle ferait tout au monde pour la changer. Mais, le pourrait-elle? Comment irait-elle me chercher les vers, les chenilles dont nous avons tant besoin pour contrebalancer l’influence funeste des graines sèches?... Vous le voyez, malgré les souffrances que j’endure, il me faut supporter mon mal et sourire aux efforts de son amitié. Je chante pour elle,... mais je pleure en dedans!

—Ce que votre maîtresse ne peut faire, d’autres l’essayeront peut-être...

—D’autres? Qui donc m’aimerait assez pour cela?

—Qui sait?... Au revoir!

—Vous me quittez?... Adieu! ne m’oubliez pas, vous dont le cœur s’est ému au récit du pauvre prisonnier.

Je partis et m’envolai vers la partie de la pépinière où les jardiniers établissent les couches sur lesquelles ils cultivent des fleurs. J’avais cru remarquer que là les vers étaient abondants, les larves et les chrysalides faciles à découvrir... Je ne me trompai point. Dix minutes après, je revenais à tire-d’ailes, apportant au prisonnier une pleine becquetée de vers frais et appétissants.

Je me posai sur sa cage, les laissai tomber à côté de lui et m’enfuis comme si j’avais commis une mauvaise action. Mais du haut d’un arbre voisin, je guettai mon ami... Son premier étonnement passé, il se jeta sur cette friandise, y fit honneur et, regardant de tous côtés, sembla me chercher pour me remercier.

—A demain! lui criai-je de loin en m’envolant.

J’avais le cœur content. Une bonne action rend toujours heureux!

Le lendemain, je recommençai ma chasse, mais cette fois je ne pus m’envoler assez tôt pour que le Serin, qui me guettait, ne me retînt par une bonne parole. Notre amitié devint, de la sorte, chaque jour plus intime, et mon ami me connaissait si bien qu’il saisissait sa nourriture, de mon bec même, à travers les barreaux de sa prison.

Tout entier à notre commerce charmant, nous ne prenions pas garde que nous étions épiés, non seulement par la maîtresse de mon ami, mais par plusieurs de ses voisines. Ma réputation se répandit ainsi, en peu de temps, dans tout le quartier. La bonne dame me connaissait, et quand j’arrivais avec ma provision, elle ouvrait sa fenêtre et me disait:

—Bonjour, Pierrot, bonjour, mon ami! Le bon Dieu te récompensera!

Un jour, je vis, près d’une fenêtre voisine, la cage d’un autre serin prisonnier. La pauvre bête s’agitait, elle appelait mon ami à son secours. Lorsque j’apportai des vers, j’entendis une voix suppliante qui me disait:

—Et moi, n’aurai-je donc rien? O vous, qui secourez les malheureux, pensez à un prisonnier!

—Ma foi, me dis-je, ce pauvre serin que voilà me fend le cœur, je vais faire une petite chasse à son intention. Et je partis, puis revins bientôt avec une bonne provende. Comme il fut heureux! Chaque fois que je lui apportais quelque chose, j’en réservais toujours un peu pour mon premier ami Citronnet: car c’est ainsi que sa bonne maîtresse l’avait nommé.

«MON AMI ME CONNAISSAIT SI BIEN QU’IL SAISISSAIT SA NOURRITURE DE MON BEC MÊME»

Mais, voilà que de tous côtés on pendait des cages, de tous côtés des voix suppliantes imploraient mon secours. Je ne demandais pas mieux que de multiplier mes efforts à mesure que des infortunés surgissaient autour de moi. J’avais autant de besogne que si une couvée eût réclamé mes soins. Mais, au milieu de ces nouveaux amis, l’homme me tendit des embûches, des mains traîtresses s’avancèrent pour me saisir... Heureusement, j’avais toujours l’œil au guet; j’échappai toujours. Une fois je ne pus résister à la tentation, et j’envoyai un tel coup de bec sur les doigts d’une méchante femme, qu’elle poussa un cri terrible et me jeta sa malédiction!...

Je n’en fis que rire, mais ne retournai plus à son prisonnier, et maintins tous mes soins pour Citronnet et sa bonne maîtresse, qui m’aimait, à présent, autant que lui.

L’hiver passa ainsi. Nous eûmes souvent faim tous les deux, car les vers étaient rares; mais je partageais toujours religieusement avec Citronnet, et ma bonne action fut récompensée. Voici comment.

Citronnet m’apprit que, sur un grand platane, à peu de distance, habitait une jeune et belle pierrette dont le mari avait été surpris et dévoré, l’année précédente, par un affreux matou du voisinage. Il me fit faire connaissance avec elle. Je reconnus chez elle les qualités qui font une bonne mère. Aussi, au premier printemps, nous mîmes-nous à faire un superbe nid dans un des arbres les plus touffus de la pépinière. Nous y trouvions un abri plus parfait que sur les grands arbres du jardin, et nous étions plus près des vers et des larves qui allaient devenir indispensables à la nourriture de nos enfants.

Tout allait à souhait: jamais on ne vit plus beau nid, plus charmants œufs, couple plus uni, printemps plus magnifique.

Au bas de notre arbre, cependant, un autre oiseau était venu commencer ses travaux, et son voisinage ne me laissait pas sans inquiétude... beaucoup plus gros que nous, l’œil inquiet, le bec robuste et pointu, les mouvements brusques, il me semblait un animal peu sociable et au moins incommode.

Combien je me trompais! C’était le modèle des époux, le meilleur des pères, et j’appris à l’apprécier à sa juste valeur.

Noir, le bec jaune, cet oiseau me faisait peur; je l’entendis un jour nommer par un jeune homme qui s’écria:

—Oh! le beau Merle!...

Se souciant peu des épouvantails que l’on mettait en place pour nous faire peur, il se perchait dessus, passait dessous, pour aller picorer où il avait envie.

Le Merle amena sa femelle au pied de notre robinier, lui montra l’emplacement qu’il avait choisi entre les branches flexibles du pied; puis, tous deux se mirent de bon cœur à la rude besogne, sans trêve ni repos, butinant et bâtissant de l’aube à la nuit.

Il ne leur fallut que huit jours pour remplir leur tâche, et nous, nous en avions employé plus de douze pour accomplir la nôtre.

La femelle y déposa alors cinq œufs bleu-verdâtre marqués de taches brunes, et les couva avec une assiduité dont mon aimable compagne lui donna l’exemple. Mon voisin, le Merle, lui apportait sa nourriture, absolument comme je le faisais pour la mère de mes petits. Quelquefois, l’un et l’autre, nous partagions les travaux de l’incubation pendant que les mères allaient boire ou délier un peu leurs membres engourdis. En temps ordinaire, j’avais remarqué que les merles sont comme les moineaux, ils aiment l’eau et se baignent fréquemment.

Quant à ses petits, il les nourrit absolument comme nous nourrissons les nôtres, de chenilles et de vers. Seulement les siens sont beaucoup plus gros, et ce qu’ils consomment de nourriture est vraiment incroyable. Avec quarante chenilles par heure, nous suffisions à l’appétit de nos enfants. Cela nous donnait cependant le travail très respectable de cinq cents chenilles à trouver, à nous deux, par journée, et de trois mille cinq cents par semaine. Il ne faut pas perdre de temps... Mais le malheureux père Merle n’en était pas quitte pour quatre fois cette quantité. Heureusement, il pouvait y joindre les limaçons et les limaces dont il détruisit un nombre énorme, au grand profit du jardin.

Aussitôt qu’ils sont capables de pourvoir seuls à leurs besoins, les petits merles se séparent, et cela arrive vite. Ils cherchent alors leur nourriture eux-mêmes et, outre les insectes et les vers, se jettent sur les baies et les fruits. Les cerises, les groseilles, les framboises, le lierre, le houx, l’aubépine, leur plaisent beaucoup, et c’est pour cela que l’homme leur fait la guerre, d’autant plus qu’on m’a affirmé que la chair de cet oiseau est fort bonne.

Sans être jamais très unis, nous conservions des relations de bon voisinage. Il n’en était pas de même entre mon voisin et un ménage de Grives qui était venu s’établir dans un arbre dont les branches touchaient au nôtre.

Ce couple n’offrait pas, je dois le dire, un modèle d’entente cordiale, et nous déplorions des mœurs si semblables à celles des hommes. Le mâle, un bel oiseau d’ailleurs, paré d’un plumage charmant, avait, au commencement des beaux jours, chanté à sa femelle ses élégies les plus tendres, et avait si bien capté son cœur qu’elle croyait à une affection éternelle. Aussi se mit-elle avec une ardeur sans pareille à commencer son nid. Le mâle, dès ce moment, me déplut. Monsieur demeurait flâneur et oisif, regardant sa femelle apporter les matériaux, construire, aller, venir, tandis que lui sifflotait des fleurettes aux grivelettes du voisinage, et, pendant ce temps, la pauvre esclave dévouée allait au loin chercher son faix.

Notre voisin, le Merle, qui, placé plus près que nous, voyait encore mieux ce manège, lui en exprimait son mécontentement en termes fort peu mesurés. Maître Grivelet prenait mal la chose; des gros mots on en venait aux coups, et le Merle le mettait pour quelque temps à la raison en lui administrant une bonne volée. Mais, bast! la paix n’était pas de longue durée dans le malheureux ménage. Monsieur n’était pas content de ceci, de cela, de la nourriture, du temps, du nid; il grognait, il battait sa femelle, puis faisait des absences qui me semblaient louches.

A son retour, il était souvent de plus mauvaise humeur qu’à son départ, et cherchait encore querelle à sa grive. Celle-ci, forte de sa bonne volonté, défendait son ouvrage, le bec entr’ouvert, le cou en avant, les plumes hérissées. Ils se lançaient des mots de défiance et de colère. Des injures on en venait à se battre, et la pauvre grive, plus faible, était fort maltraitée. Les plumes volaient, les cris de douleur fendaient l’air: c’était pitié. Mais le Merle arrivait comme un trait, fondait sur monsieur le Grivelet et le mettait en fuite souvent par sa seule présence, car ce mauvais mari qui battait sa femelle était un lâche.

La femelle, au milieu de cet enfer, avait pondu quatre jolis œufs bleu-ciel marqués de brun foncé; mais à peine les petits étaient-ils éclos, à peine commençaient-ils à pousser leur premier duvet, qu’ils disparurent les uns après les autres. Les cris, le désespoir de la pauvre mère attirèrent mon attention et la commisération de ma chère Pierrette. Il ne restait plus qu’un petit dans le nid, les trois autres avaient disparu; la mère n’osait plus quitter son dernier enfant qui demandait à grands cris de la nourriture.

«MAIS LE MERLE ARRIVAIT COMME UN TRAIT»

Que faire? Quelle terrible alternative, et qui dira jamais les combats que livrèrent la crainte et l’amour dans le cœur de la malheureuse Grivelette?...

Enfin, n’y tenant plus, elle se lève, jette au ciel un regard désolé et part, comme un trait, dans la direction des bâches à fleurs...

J’étais bien caché, parmi les feuilles, au-dessus de mon nid et guettais attentivement ce qui allait arriver; quand je vis... J’en frissonne encore d’indignation et d’horreur!... Le père... oui, le père, lui-même, déchirait son dernier enfant de son bec acéré!... Le père mettant en pièces le fils de ses entrailles!!!...

Horrible!...

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