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Psychologie des temps nouveaux

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CHAPITRE V
Le coût des guerres modernes.

Il est probable que depuis les origines du monde aucune guerre n’a autant coûté en hommes et en matériel que celle qui vient de se terminer. La raison en est évidente. Jamais des peuples entiers n’avaient été aux prises et les anciens moyens de destruction ne peuvent se comparer à ceux mis par la science moderne aux mains des combattants.

On pourrait dire à première vue que cette lutte gigantesque a également ruiné les vainqueurs et les vaincus, si en réalité l’Angleterre n’en avait retiré un immense agrandissement de territoire. Elle a pris toutes les colonies allemandes, établi son protectorat sur l’Égypte, la Palestine, la Mésopotamie, la Perse, etc. L’avenir seul dira si cet agrandissement lui aura été favorable. Pour le moment son hégémonie s’est substituée à celle de l’Allemagne mais l’histoire montre que les hégémonies à base militaire n’ont jamais duré et furent génératrices de nombreuses guerres.

Ces considérations sont d’ailleurs indépendantes de l’état actuel des pertes résultant de la guerre, auxquelles est consacré ce chapitre.


Sans être encore bien certaines les statistiques qui suivent donnent une idée des effroyables pertes que le monde a subies.

Les meilleurs chiffres paraissent être ceux donnés par M. Wilson dans un discours prononcé à Tacoma (États-Unis) le 13 septembre 1919. L’auteur Les accompagne de la réflexion suivante : « Si je n’avais ces chiffres de source officielle il me serait impossible de les tenir pour exacts. »

Voici, suivant lui, ce qu’a coûté la guerre aux puissances alliées : Grande-Bretagne, 207 milliards 600 millions de francs, France 135 milliards 200 millions[5], Russie 93 milliards 600 millions, Italie 67 milliards 600 millions. Au total en y comprenant la Belgique, le Japon et les autres États plus petits, 639 milliards 600 millions.

[5] Ce chiffre semble erroné. D’après les chiffres officiels donnés à la Chambre des Députés, le total de nos dépenses, du 6 août 1914 au 31 décembre 1919, serait d’environ 200 milliards. Au Sénat, M. Antonin Dubost a établi un autre chiffre. « Tout compris, dit-il, c’est une somme de 400 milliards que représentent nos obligations financières : cette somme dépasse l’évaluation de notre richesse nationale avant la guerre. » En réalité personne n’est capable aujourd’hui de chiffrer exactement ce que la guerre a coûté.

Les puissances centrales ont dépensé de leur côté : Allemagne 203 milliards, Autriche 109 milliards 200 millions, Turquie et Bulgarie 15 milliards 600 millions ; au total 327 milliards 600 millions. Soit en tout pour les frais de la guerre 967 milliards 200 millions.

En tués à l’ennemi, la Russie aurait perdu 1 million 700 mille hommes, l’Allemagne 1 million 600 mille, la France 1 million 385 mille, la Grande-Bretagne 900 mille, les États-Unis 50 mille ; soit pour l’ensemble des belligérants, 7 millions 450 mille hommes.

Quant aux pertes matérielles subies par la France leur plus exacte évaluation a été donnée dans une remarquable étude, que publiait en mars 1920 un des Ministres ayant collaboré au traité de paix, M. André Tardieu. Parlant des tentatives faites par certaines puissances pour modifier le traité de Versailles, l’auteur disait :

Si le traité n’est pas exécuté, je demande ce qu’il adviendra de la France, — de la France, dont la dette (en évaluant la dette extérieure au cours du jour) est de 257 milliards ; de la France, qui payait, en 1913, 4 milliards d’impôts et qui en paiera cette année 18 milliards ; de la France privée totalement de l’industrie d’une région, qui produisait 94 p. 100 de nos tissus de laine, 90 p. 100 de nos filés de lin et de notre minerai, 83 p. 100 de notre fonte, 70 p. 100 de notre sucre, 60 p. 100 de nos cotonnades, 55 p. 100 de notre charbon, 45 p. 100 de notre énergie électrique ; de la France, qui a perdu le tiers de sa flotte marchande ; qui supporte, sur ses chemins de fer, un déficit de plus de 2 milliards et dont la balance commerciale est en déficit de 20 milliards ; de la France enfin, qui a laissé sur les champs de bataille 57 p. 100 de ses hommes de 19 à 34 ans ».


Tous ces chiffres sont dignes de nos méditations. Il est évident que si la raison avait une influence quelconque sur la conduite des peuples, de semblables guerres ne recommenceraient pas d’ici bien longtemps, mais la mémoire affective des nations est si courte, les impulsions sentimentales et mystiques qui les précipitent les unes sur les autres si fortes, que les espoirs de paix pour l’avenir restent bien incertains. A l’heure où j’écris ces lignes la Pologne est en guerre avec tous les pays voisins. Les Italiens et les Balkaniques se menacent, l’Allemagne se débat en proie aux fureurs de la guerre civile et d’autres pays en sont également victimes. Le vent de folie qui a soufflé sur le monde n’est pas encore calmé.

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