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Psychologie des temps nouveaux

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CHAPITRE II
Les forces morales dans la vie des peuples.

La guerre a montré une fois de plus le rôle des forces morales dans la vie des peuples. Elle fit voir aussi à diverses reprises comment ces forces peuvent se désagréger.

La défaillance russe a révélé une des formes de cette désagrégation. Le mécontentement universel, résultant d’insuccès répétés dus à l’incapacité et aux trahisons de chefs à l’âme vénale, constituait un terrain de culture sur lequel germèrent aisément les doctrines révolutionnaires propagées par les innombrables agents de l’Allemagne. Le mouvement ainsi provoqué fut favorisé par les promesses de terres aux paysans et d’usines aux ouvriers.

La révolution s’étendit rapidement par contagion mentale et les forces morales de la Russie se trouvèrent dissociées au point de permettre à l’Allemagne la facile conquête des provinces qu’elle convoitait.

Un empire de 170 millions d’âmes, ayant mis des siècles à se former, se trouva anéanti en quelques mois par l’action, sur des âmes primitives, de ces formules simplistes parfois plus destructives que les canons.

Cette prodigieuse aventure est pleine d’enseignements psychologiques et politiques.

Les Allemands, qui avaient si bien réussi à désagréger la Russie par leur propagande, supposèrent pouvoir obtenir les mêmes résultats en France grâce aux menées de socialistes aveugles inaccessibles aux leçons de l’expérience. Adoptant d’abord leur langage, ils parlèrent de pacifisme, de désarmement, de fraternité universelle, etc.

L’Allemagne se crut bien près d’atteindre au but rêvé puisqu’un député des plus influents n’hésita pas à dire devant le Reichstag « que le bolchevisme était aussi répandu en France qu’en Russie ». On aurait pu le penser quand on vit certains socialistes français proposer de fêter le centième anniversaire de Karl Marx, le plus haineux de nos ennemis.

Les Allemands s’étaient cependant trompés, une fois encore, en prenant pour une agitation générale des mouvements superficiels. La France est un pays tellement stabilisé par son passé que l’âme ancestrale s’y maintient très forte. La nation fut souvent divisée et agitée, mais ses divisions sont comparables aux vagues surgissant parfois à la surface de l’Océan sans troubler la tranquillité de ses eaux profondes.

Devant l’insuccès de leur propagande, les diplomates allemands finirent par renoncer à tout verbiage humanitaire et revinrent à leurs anciens procédés d’intimidation. Nous n’eûmes pas à regretter cette maladresse psychologique. Les plus endurcis des socialistes connurent alors les véritables intentions de nos ennemis. L’exemple de la Russie leur avait déjà montré ce qu’aurait été notre sort si leur influence avait réussi à faire abandonner la lutte : misère, humiliation et servitude.

Quand un peuple est menacé d’une pareille destinée, il ne lui reste qu’à lutter jusqu’à son dernier homme. Nous y étions résolus.

Si nous avons triomphé dans cette guerre, c’est que les forces morales qui soutenaient nos armées n’ont jamais fléchi.

Leurs oscillations furent partielles et transitoires. L’endurance seule, et non la défaillance, s’est montrée contagieuse.

Il ne fut jamais nécessaire d’ailleurs d’enseigner le courage à une race aussi vaillante que la nôtre. Il suffisait de maintenir la continuité de son effort en luttant contre les facteurs de dissociation entretenus par les Allemands. Affaiblir notre énergie fut leur but inlassable.


L’incapacité des Germains à manier les forces morales, malgré leur incontestable intelligence, représente une des raisons principales de leur chute.

Ils ont cependant fini par soupçonner l’importance de ces forces puisque Ludendorff et Hindenburg font appel à des causes morales pour expliquer leur défaite. « Ce n’est pas, écrit Hindenburg dans ses mémoires, l’intervention de l’Amérique qui détermina la victoire des alliés, la victoire devait appartenir à celui qui, moralement, tiendrait le plus longtemps. »

A la vérité les causes morales n’agirent pas seules dans la défaite allemande. Intervinrent également des causes stratégiques : insuffisance des réserves et manœuvres imprudentes ; puis des causes biologiques : lassitude causée par les pertes et les privations ; enfin des causes affectives : sentiment d’impuissance contre un ennemi dont les forces grandissaient sans cesse, etc.

Le choc mental créé par la capitulation fut formidable. Toutes les dynasties princières des États confédérés et leur chef, l’empereur, s’écroulèrent le même jour et furent remplacés par des pouvoirs révolutionnaires composés de conseils d’ouvriers et de soldats, à l’image des Soviets russes. Plusieurs États se séparèrent de la Prusse et l’Empire sembla devoir se disloquer en une série de petites républiques indépendantes.

Mais ce premier mouvement passé, intervinrent d’autres forces morales qui sauvèrent l’Allemagne d’une dissolution comparable à celle de la Russie. Chez les peuples dont l’âme a été stabilisée par une longue discipline et une forte éducation, les révolutions ne sont jamais durables.

La suite des événements a bien montré la divergence de formes que peuvent revêtir les mêmes principes révolutionnaires chez des nations de mentalités différentes.

Dans la révolution russe, tout le pouvoir passa entre les mains de conseils d’ouvriers et soldats, dirigés par un dictateur. Dans la révolution allemande, les socialistes eux-mêmes, à l’exception de quelques fanatiques, ne pouvaient avoir la foi mystique des apôtres russes dans la capacité des conseils d’ouvriers, croyance qui constitue le vrai fondement du bolchevisme. Ils se gardèrent donc bien de toucher à l’ancienne armature administrative. Gouverneurs de provinces, directeurs d’administration, fonctionnaires de tous grades furent conservés. Les conseils d’ouvriers et de soldats n’eurent bientôt qu’un pouvoir insignifiant.

Il est à remarquer, d’ailleurs, qu’alors que les révolutionnaires russes favorisaient la séparation de la Russie en provinces distinctes, plusieurs conseils d’ouvriers allemands envoyèrent spontanément un manifeste à l’Assemblée nationale pour demander que l’ancien empire redevînt une nation fortement centralisée.


L’Allemagne n’a pas encore repris son équilibre moral. Il est intéressant de rechercher quelles perturbations sa mentalité a subies depuis la défaite.

Son état psychologique au lendemain de cette défaite est bien marqué dans les lignes suivantes de la Deutsche Allgemeine Zeitung :

« L’ennemi sur le Rhin, l’armée démobilisée, la flotte allemande et la meilleure part de notre armement aux mains de l’ennemi, la faim, le chômage, le renchérissement de la vie, la guerre civile dans notre pays : telle est l’Allemagne après la révolution… Ce que les ennemis de l’Allemagne n’osaient pas espérer dans leurs rêves les plus audacieux est maintenant atteint. »

Les aveux des dirigeants allemands furent d’abord pleins d’humilité et de résignation.

A l’Assemblée de Weimar, un ministre reconnut que la folie des grandeurs et l’incapacité d’une diplomatie dirigée par des militaires avaient perdu l’Allemagne. Un député ajoutait :

« Ce qui ruina le peuple allemand, ce fut le démon de l’orgueil. »

Habitués à diviniser la force, les Allemands s’inclinaient alors devant ses décrets, et se tenaient prêts à tout supporter.

Les Alliés ne surent pas, malheureusement, profiter de cet affaissement mental au moment où l’armistice fut accepté. En une heure de discussion, on eût fait signer aux plénipotentiaires les points fondamentaux de la paix et obtenu aisément ce qui ne fut obtenu partiellement ensuite qu’avec les plus grandes difficultés. A cet instant décisif, notre perspicacité se montra bien faible. Nous voyons actuellement que les erreurs psychologiques alors commises seront fort coûteuses.


Les indécisions et les faiblesses de leurs adversaires, l’espoir d’une future alliance avec la Russie, ont ranimé les forces morales des Allemands. L’idée de revanche s’est éveillée dans leur âme et ils utilisent contre nous les armes psychologiques dont cet ouvrage montrera plus d’une fois la force.

L’Allemagne compte à la fois sur le concours des socialistes chez les nations ennemies et sur les divergences d’intérêts qui divisent les Alliés. L’Angleterre s’étant emparée de la flotte allemande et n’ayant aucune invasion à craindre, s’est opposée à la plupart de nos revendications. Préoccupée de légiférer pour l’avenir, le président des États-Unis s’occupa peu des nécessités de l’heure présente.

« Les joutes oratoires du Congrès ont presque anéanti l’œuvre des armées », écrivait un grand journal américain.

Un nuage épais d’idéalisme et d’illusions a isolé ce Congrès des réalités qui menacent le monde.

Elles sont pourtant fort redoutables. Pendant que des orateurs subtils échangeaient des objections, les hostilités reprenaient en Orient, de la Baltique à la mer Noire. Sur le front esthonien, sur le front polonais, sur le front ukrainien, sur le front roumain, la lutte reste ardente. Si les armées rouges arrivaient à imposer définitivement à un pays l’évangile socialiste avec ses destructions, ce serait le triomphe des forces morales inférieures sur les forces morales supérieures, un retour fatal à cet état de barbarie où l’empire romain tomba après les invasions germaniques et où la Russie se trouve aujourd’hui.

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