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Psychologie des temps nouveaux

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CHAPITRE II
Rôle de la nécessité dans la destinée des peuples.

Nous venons d’examiner quelques-uns des éléments qui permettent certaines prévisions générales sur la destinée des peuples. Il en est d’autres encore, mais leur étude détaillée dépasserait trop le cadre de cet ouvrage.

L’un d’eux, cependant, la nécessité, joue un rôle assez important pour que nous lui consacrions un court chapitre.

Sous le nom de destin, la nécessité exerça sur l’esprit des peuples anciens une influence considérable.

Au sommet de l’Olympe, ils avaient placé le grand Jupiter. Maître souverain des dieux, dominateur du ciel étoilé et des mers ténébreuses, il était fort redouté. Les mortels tremblaient quand la foudre révélait son courroux.

Et cependant le pouvoir de ce puissant maître n’était pas absolu. Très au-dessus de lui, dans des régions inconnues vivait, solitaire et sans cour, une divinité mystérieuse dont les dieux et les hommes subissaient les lois.

Cette divinité suprême s’appelait le Destin. Elle ne possédait aucun temple. La sachant inflexible, on ne l’implorait pas.

Les philosophes antiques, y compris Platon, ne réussirent pas à préciser la nature de ce pouvoir suprême auquel les dieux eux-mêmes devaient obéir. Il semble avoir synthétisé cet ensemble de lois supérieures à nos volontés : Force des choses, Nature, Providence, etc., qui, malgré des siècles d’investigations, restent très mystérieuses encore.

La conception de l’inexorable Destin dut naître dans l’imagination des hommes le jour où l’expérience parut montrer que si nos volontés peuvent s’exercer jusqu’à une certaine limite, elles deviennent impuissantes ensuite à modifier le cours des choses. Dans les grandes circonstances de la vie des peuples, les maîtres des empires, après avoir dirigé les événements, sont entraînés par eux et ne les dominent plus.

Cette impuissance des volontés humaines, à certaines phases de l’évolution des choses, avait beaucoup frappé Napoléon. Il est souvent revenu dans ses écrits, sur l’impossibilité d’empêcher des événements qu’il voyait se former.

Le pouvoir des forces supérieures dont l’ensemble constitue la nécessité, est formidable. Il maintient les peuples dans une voie déterminée et peut devenir un prodigieux générateur d’efforts. C’est la nécessité, je l’ai déjà rappelé dans un autre chapitre, qui fit surgir pendant la guerre, les usines, les canons, les hommes et transforma toutes nos conditions d’existence et notre mentalité même. Sous sa main rigide l’impossible finit par devenir possible.

Elle fit notamment réaliser à diverses industries des progrès qui n’eussent peut-être pas été obtenus en dix ans de paix.

Il faudrait un volume pour en montrer les résultats. C’est ainsi par exemple que sous la poussée des besoins, la puissance des moteurs d’avion passa progressivement de 80 à 200, 300, 450 chevaux. La vitesse de ces avions s’éleva de 80 à 220 kilomètres à l’heure. En même temps le poids des moteurs se réduisait de 2 kg à 0 kg 8 par cheval, c’est-à-dire de plus de moitié. Près de 90.000 moteurs représentant une dépense de plus de deux milliards ont été construits durant la guerre. On en construisait 49 par mois au début de la guerre et plus de 4.000 en octobre 1918 alors que la lutte devenait de plus en plus aérienne.

J’ai choisi cet exemple entre mille parce qu’il s’applique à l’élément principal des futures batailles, mais d’une façon générale on peut dire que durant la guerre sous l’influence de la nécessité toute notre industrie s’est transformée.

La nécessité continuera sûrement son œuvre. C’est ainsi par exemple que les difficultés croissantes des moyens de transport et les résultats, désastreux pour l’industrie, de l’insuffisance du charbon conduiront forcément à supprimer l’opération barbare et coûteuse consistant à charger et décharger plusieurs fois des masses immenses de charbon pour les faire passer de la mine chez le consommateur. On arrivera forcément à transformer la houille en électricité, c’est-à-dire en force motrice, sur le point même de son extraction. Cette force motrice sera ensuite distribuée par des fils métalliques sur tous les points où on en aura besoin. Les chemins de fer se trouveront ainsi allégés d’une grande partie de leur travail.


Dans la plupart des guerres antérieures, les hommes d’État voyaient clairement les buts poursuivis. Ils savaient qu’un petit nombre de batailles déciderait de la partie engagée et que, gagnée ou perdue, les choses reprendraient ensuite leur cours.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. L’avenir reste enveloppé de ténèbres où se perçoivent seulement de faibles lueurs.

Faut-il craindre que l’homme, après avoir vaincu tant de fatalités naturelles, édifié de brillants empires, ne puisse empêcher ces effroyables hécatombes qui finiraient, en se répétant, par amener l’anéantissement de nos civilisations ?

Une future guerre serait, sans doute, plus meurtrière et plus ruineuse encore que celle dont nous sortons. Dès le jour de sa déclaration, d’immenses escadres d’avions munis d’obus incendiaires perfectionnés iraient brûler les villes et asphyxier leurs habitants. De grandes cités se trouveraient presque instantanément anéanties. Ce serait la fin définitive de l’Europe.

L’irrésistible action de la nécessité, dont l’histoire a tant de fois prouvé la force, nous protégera peut-être plus sûrement que toutes les alliances. Nous examinerons son influence possible dans un chapitre qui servira de conclusion à cet ouvrage. Bien souvent déjà, elle a dénoué des problèmes qui semblaient insolubles.

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