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Psychologie des temps nouveaux

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CHAPITRE III
L’enquête sur les résultats du communisme.

Le communisme bolcheviste se considère comme l’application intégrale du socialisme. Il était donc fort intéressant d’étudier soigneusement les résultats d’une pareille expérience.

On ne saurait donc trop remercier les 136 députés auteurs d’une proposition « tendant à inviter le gouvernement à constituer une commission extra-parlementaire chargée d’étudier les méthodes et les résultats économiques et sociaux du bolchevisme ».

Cette proposition se trouve précédée d’un très long et très détaillé rapport où sont étudiés, en s’appuyant presque exclusivement sur les publications bolchevistes, les résultats déjà obtenus.

Les auteurs de ce remarquable travail font d’abord observer que les problèmes d’organisation sociale sont actuellement dominés par deux formules contraires.

L’une, la formule individualiste, cherche la solution des questions sociales dans la liberté. Le meilleur rendement économique serait obtenu, suivant elle, en laissant à l’individu sa libre initiative.

A la formule individualiste s’oppose la formule socialiste, qui prétend organiser une société où la production et la répartition des richesses, au lieu d’être abandonnées à l’initiative individuelle, seraient régies par l’État.

Cette absorption étatiste constitue ce que les partisans de la doctrine appellent la socialisation des moyens de production, de transport et d’échange.

C’est ce nouveau régime qui vient d’être expérimenté sur une vaste échelle en Russie pendant deux années.


Avant d’examiner les résultats officiels, déjà résumés dans le précédent chapitre, répétons encore que le bolchevisme, comme le proclament ses défenseurs, ne représente que la stricte application du marxisme allemand adopté par la presque totalité de nos socialistes. Il reste distinct du syndicalisme, doctrine inconciliable, aux yeux des bolchevistes, avec le communisme et la dictature du prolétariat.

Un peu déconcertés par les résultats du terrorisme russe, quelques socialistes français essayèrent de soutenir que les bolchevistes avaient mal interprété le marxisme. Il a été facile de leur répondre que ses principes étaient trop clairs pour qu’on puisse les mal comprendre. La dictature du prolétariat, la suppression du droit de propriété privée, la socialisation de l’industrie, la gestion ouvrière, etc., constituent des dogmes limpides, acceptés par tous les socialistes. C’est, du reste, un descendant même de Karl Marx, qui a déclaré que les maîtres actuels de la Russie, Lénine et Trotzki, sont de purs marxistes.

La doctrine socialiste de la dictature du prolétariat se trouve réalisée par les bolchevistes au moyen d’assemblées locales d’ouvriers, dites soviets. Elles sont élues au suffrage universel, mais les bourgeois et les paysans aisés s’en trouvent exclus.

Les soviets locaux nomment des délégués qui constituent d’autres soviets. Tous les trois mois, un congrès des divers soviets de Russie se réunit pour examiner les rapports des commissaires du peuple.

Pratiquement, ces assemblées n’exercent aucune influence. Les seuls maîtres réels restent les dictateurs suprêmes. Ils dissolvent immédiatement les soviets qui leur font de l’opposition. Quand, par hasard, l’opposition est trop vive, les dissidents sont fusillés sommairement.


Les documents publiés par les bolchevistes, et reproduits dans le rapport que je résume, montrent avec quelle rapidité le régime communiste a désorganisé la Russie. Mines, usines, chemins de fer, etc., tout s’effondra en quelques mois.

Les chemins de fer, qui, en 1914, donnaient un revenu de 1.700.000 roubles, ont présenté, en 1918, un déficit de 8 milliards.

Mêmes résultats pour toutes les industries nationalisées. Sous le régime de la socialisation, les recettes atteignant à peine la moitié des dépenses, il fallut fermer le plus grand nombre des usines.

La désorganisation ainsi produite a été reconnue par les bolchevistes eux-mêmes. C’est ainsi que leur commissaire aux finances écrit :

« La confiscation systématique de l’industrie a détruit tout l’appareil du crédit. Les capitalistes avaient de l’organisation. Ils savaient faire marcher l’économie populaire. »

On ferait bien, confesse avec résignation le commissaire bolcheviste, « de solliciter les plus actifs d’entre les bourgeois ». C’est, comme je l’indiquais dans un précédent chapitre, à cette sollicitation qu’a fini par se résigner Lénine.


La désorganisation générale qu’engendra la nationalisation de l’industrie a été vite accrue par le contrôle des ouvriers, très réclamé aussi de nos syndicalistes.

L’organe officiel du gouvernement bolcheviste, les Izvestia, est obligé de reconnaître la faillite du système. Il le qualifie « d’incompréhension totale des nécessités de la production industrielle, de dissolution complète de l’économie ».

Même les usines les plus indispensables, celles consacrées notamment à la fabrication des métaux, ont dû fermer. Les rares hauts fourneaux fonctionnant encore sont à marche réduite. La grande usine de cotonnade de Moscou, qui occupait autrefois 20.000 ouvriers, n’en emploie plus maintenant 500.

A Pétrograd, sur les 400.000 ouvriers occupés au moment de la révolution, les deux tiers ont disparu.

Les prolétaires eux-mêmes finissent par reconnaître la faillite des doctrines socialistes qui prétendaient réaliser leur bonheur. Une délégation des partis ouvriers social-démocrates et social-révolutionnaires a publié l’appel suivant :

« Notre vie est devenue intolérable, les fabriques chôment, nos enfants meurent de faim ; au lieu de pain, les affamés reçoivent des balles ; le droit de parler, d’imprimer, de s’assembler n’existe plus. Il n’y a plus de justice, nous sommes gouvernés despotiquement par des hommes en qui nous n’avons plus aucune confiance depuis longtemps, qui ne connaissent ni loi, ni droit, ni honneur, qui nous ont trahis et vendus pour conserver le pouvoir. Ils nous ont promis le socialisme et ils n’ont fait qu’anéantir notre économie populaire par leurs expériences insensées. Au lieu du socialisme, nous avons des fabriques vides, des hauts-fourneaux éteints, des milliers de sans-travail. La guerre civile dévaste le pays, les champs ne sont pas encore ensemencés… »

Il ne reste même plus aux infortunés ouvriers la possibilité de se mettre en grève. A la moindre tentative, ils sont fusillés en masse.

Le sort des paysans est aussi misérable. Des bandes de gardes rouges, envoyées dans les campagnes pour réquisitionner les grains, sont obligés de livrer bataille aux moujiks qui se défendent à main armée et refusent les billets de banque communistes.


En présence de tels résultats, les rares socialistes ayant réussi à conserver quelque liberté de jugement en arrivent à douter fortement de leurs doctrines. Voici comment s’exprime un des théoriciens marxistes allemands les plus connus, Karl Kautsky :

« La tâche la plus importante des temps modernes, c’est de produire, et l’on verra si c’est le système capitaliste ou si c’est le système socialiste qui dans tous les domaines produira le mieux et le plus. Or, jusqu’ici, la révolution russe a perdu le procès. Elle n’a su que ruiner la grande industrie, désorganiser le prolétariat et renvoyer dans les campagnes les ouvriers des villes. Le seul résultat positif de l’activité bolcheviste est la création d’un militarisme nouveau. »

Les leçons à tirer de l’expérience russe apparaissent nombreuses. La plus claire est qu’un despote absolu peut bien détruire une société, mais reste impuissant à la reconstruire.

Le régime bolcheviste ne parvint à se maintenir en Russe qu’au moyen d’une armée richement payée, commandée en partie par des officiers allemands fort heureux de contribuer à prolonger un désordre dont ils espèrent voir leur pays profiter un jour. C’est en effet, vers l’Allemagne que la Russie se tournera fatalement quand elle voudra sortir de l’anarchie et se reconstituer.


On pourrait se demander, après l’exposé qui précède, pourquoi les 136 députés dont j’ai résumé le rapport, crurent nécessaire de solliciter du gouvernement une Commission « chargée d’étudier les méthodes et les résultats économiques et sociaux du bolchevisme ».

Évidemment, les signataires de ce rapport savaient fort bien ce qu’il fallait penser du bolchevisme. Le but de leur demande fut sans doute d’attirer l’attention générale sur les résultats de la première application des théories marxistes restées, on le sait, l’évangile de nos socialistes. Ces derniers ne cessent de réclamer, eux aussi, la dictature du prolétariat et la socialisation des moyens de production. Il était donc utile de bien connaître les résultats obtenus en Russie sous l’influence de ces doctrines.

Renseigner le public est d’autant plus indispensable que le bolchevisme se propage dans tous les pays au moyen d’une légion d’agents à la solde des dictateurs russes. De nombreux journaux populaires sont entretenus par eux. L’argent pillé chez les particuliers et dans les banques permet d’alimenter cette propagande.

Elle a créé au bolchevisme de nombreux adeptes, non seulement dans la classe ouvrière, mais aussi dans des milieux qu’on n’aurait pas cru d’une réceptivité mentale si facile. Au dernier Congrès fédéral des syndicats d’instituteurs, le rapporteur estimait que les révolutions russes et hongroises font de la bonne besogne ». Un autre instituteur a parlé en faveur « de la dictature du prolétariat », qu’il considère comme une nécessité historique inéluctable ».

Une telle incompréhension des réalités montre à quel degré de cécité mentale conduisent certaines croyances imposées en bloc par contagion aux esprits faibles.


En dehors de ses principes économiques dont l’expérience russe a montré l’inanité, le bolchevisme s’appuie sur des supports psychologiques d’ordre sentimental et mystique dont la puissance fut toujours prépondérante.

Il sut trouver des formules concrètes pour justifier certains sentiments qui, jadis, ne s’avouaient guère.

La mentalité dite bolcheviste, se caractérise, surtout, je l’ai déjà fait observer, par une haine envieuse de toutes les supériorités, aussi bien celle de la fortune que celle de l’intelligence.

Sous ses apparences démocratiques trompeuses, le bolchevisme est le contraire de l’égalité démocratique. Il ne souhaite de détruire les anciennes hiérarchies sociales que pour les rétablir en sa faveur, grâce à la dictature du prolétariat.

Aux yeux des meneurs socialistes, une telle dictature apparaît comme une féodalité nouvelle instituée à leur profit.

Cette féodalité constitue un rêve très flatteur pour la vanité des incapables, puisqu’elle leur assurerait le passage d’une situation subalterne à une situation souveraine. Dans ce mot magique « dictature du prolétariat », tous les médiocres entrevoient une ère nouvelle où, de subordonnés ils deviendraient chefs et pourraient tyranniser durement les anciens maîtres.

La mentalité bolcheviste est aussi vieille que l’histoire. Le Caïn de la Bible avait déjà une âme bolcheviste. Mais c’est de nos jours seulement que cette antique mentalité a rencontré une doctrine politique pour la justifier. Tel est le motif de sa propagation rapide qui vient saper les anciennes armatures sociales.

En dehors de l’esprit de révolte, d’indiscipline, de jalousie et de haine, la mentalité bolcheviste se révèle par une foule de petits faits d’observation journalière. Ils sont analogues à celui que relatait un journal suisse sur la décision des autorités socialistes d’une grande ville d’accorder 6.000 francs de traitement aux balayeurs et 3.000 francs seulement aux ingénieurs.


La dictature du prolétariat exigée par la mentalité bolcheviste pourra produire bien des ravages, détruire les plus stables civilisations, mais elle sera toujours dominée, finalement, par la puissance de l’intelligence.

Dans l’évolution actuelle du monde, le rôle de la capacité est destiné à devenir beaucoup plus important encore qu’il ne l’était jadis.

Au moyen âge, le baron féodal et son serf différaient fort peu en instruction et en intelligence. A cette époque, l’égalité aurait donc pu être établie facilement entre les hommes.

Aujourd’hui, elle est devenue impossible. Loin de tendre vers l’égalité, les cerveaux humains se différencient de plus en plus. Entre le simple matelot et son capitaine, entre l’ouvrier et l’ingénieur qui le dirige, les dissemblances n’ont fait que s’accentuer avec les progrès de la technique.

Une révolution peut bien, comme en Russie, décréter que le matelot commandera au capitaine et l’ouvrier à l’ingénieur. Autant vaudrait décider qu’un homme n’ayant jamais entendu une note de musique sera capable de diriger un orchestre.

Il est curieux de constater que le besoin d’égalité d’abord, de dictature ensuite, se soient précisément développés au moment où les progrès de la science et la complication croissante de la civilisation rendaient la réalisation d’un tel rêve impossible.

Avec les formidables difficultés de la technique moderne, le défaut de capacité mène à une ruine rapide. L’expérience russe l’a surabondamment prouvé.

Ses résultats ont montré ce que devient un pays gouverné par l’incapacité. La Révolution communiste russe n’a fait que remplacer l’absolutisme d’en haut par la tyrannie d’en bas. Ses dirigeants adoptèrent simplement le régime tzariste en l’exagérant. Leur police est plus despotique qu’elle ne l’avait jamais été. La bureaucratie encore plus compliquée que celle de l’ancien régime, la liberté de la presse beaucoup moindre qu’autrefois puisqu’il n’en reste aucune trace.

En attendant l’heure, probablement lointaine, où seront tenues pour évidentes les vérités que je viens de formuler, le bolchevisme grandira encore, attirant l’immense légion des inadaptés : professeurs mécontents, travailleurs médiocres, primaires envieux, c’est-à-dire le bloc formidable des vanités, des incapacités et des haines dont le monde est rempli.

Ajoutons encore à cette armée celle des esprits faibles et indécis ne pouvant se passer d’une foi pour orienter leurs vacillantes pensées.

Dès que de tels esprits sont subjugués par un dogme, aucune expérience, aucun raisonnement ne saurait les détourner de leur foi. Ils restent alors enfermés dans ce cycle magique de la croyance dont les lois spéciales sont fort étrangères à celles de la logique rationnelle.

Sans une étude approfondie de ces lois on ne saurait comprendre l’action des grands mouvements religieux comme le Bouddhisme et l’Islamisme jadis, le Bolchevisme aujourd’hui, qui, à certaines époques, viennent bouleverser le monde.

L’intelligence a progressé dans le cours des âges mais les sentiments n’ont guère varié. L’humanisme moderne est menée par les mêmes illusions, les mêmes rêves que toutes les humanités antérieures. Les puissances mystiques n’ont pas cessé de nous asservir.

La raison a grandi, les temples ont été remplacés par des laboratoires où règne la pensée pure, mais la rigide raison reste sans prestige sur l’âme des multitudes. Les seuls maîtres qu’elles écoutent toujours sont ces éternels tribuns, créateurs des miracles qui remplissent l’histoire.


L’expérience bolcheviste est une de celles qui montrent le mieux combien les buts atteints par les guerres et les révolutions peuvent différer des buts poursuivis. La Révolution russe triompha en promettant la paix et actuellement la Russie est en guerre avec tous ses voisins. Elle voulait supprimer le militarisme et n’a réussi qu’à établir un régime militaire plus dur que tous les régimes antérieurs. Elle voulait supprimer le droit de propriété et a seulement fini par créer la propriété individuelle chez un peuple qui n’avait encore connu que la propriété collective.

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