Psychologie des temps nouveaux
CHAPITRE V
Les futures croisades.
Les historiens de l’avenir éprouveront sans doute un certain étonnement en constatant que, malgré sa prétention de n’avoir que la science positive pour guide, le XXe siècle dut recommencer au nom de croyances nouvelles l’âge des Croisades.
C’est bien une croisade qu’entreprit l’Allemagne pour établir son hégémonie au nom de la divine mission qu’elle s’attribuait et une autre croisade qu’entreprirent les nations désireuses de conserver leur indépendance. Des coins les plus reculés du globe accoururent des peuples n’ayant aucune conquête à espérer et prêts cependant à tout sacrifier pour défendre leur foi. Ce n’était plus comme jadis devant Jérusalem la croix opposée au croissant, mais deux croyances nouvelles inconciliables : l’absolutisme et la liberté.
La croisade germanique n’est pas la seule que le monde semble appelé à voir se former. Une autre s’annonce déjà contre un danger fort menaçant.
C’est celle qu’il faudra entreprendre contre les oppressions et destructions que les théoriciens socialistes et syndicalistes rêvent d’infliger à la France comme ils les ont infligées à la Russie.
La foi socialiste a pesé sur toute notre politique depuis vingt-cinq ans.
Les étrangers savaient très bien que cette politique socialiste « pétrie d’ignorance autant que de malfaisance » avait conduit la France au bord de l’abîme et que son triomphe, rendu possible par l’apathie des autres partis, amènerait notre pays à une irrémédiable ruine. Dans un discours prononcé le 5 juillet 1918 l’un des plus considérables personnages des États-Unis, M. Walter Berry, s’exprime ainsi :
« L’erreur de la France a été de se leurrer du mirage des lois sociales, tout en négligeant les lois de l’association et de la production.
Ce qui fait la grandeur économique des États-Unis, c’est l’association des individus, c’est la coopération des classes, la collaboration du travailliste et du capitaliste, c’est la solidarité au lieu du socialisme destructif…
S’il n’y a pas un milieu entre le militarisme et le bolchevisme, c’est-à-dire le socialisme destructif, mieux vaut que le monde croule tout de suite ! »
Les socialistes allemands qui inventèrent jadis la théorie de la lutte des classes l’ont pratiquement abandonnée depuis longtemps et ne la considéraient plus que comme un article d’exportation, précieux pour désorganiser les peuples étrangers. C’est pourquoi ils l’établirent en Russie au moyen d’agents à leur solde. Les millions ainsi dépensés furent beaucoup plus utiles à l’Allemagne que ses canons.
La désastreuse expérience russe n’a pas entamé l’indestructible foi de nos socialistes. La guerre ne leur a rien appris. Incapables d’évoluer, ils remâchent sans trêve les mêmes formules, douées pour eux d’une magique vertu.
Et si l’on veut comprendre comment des hommes éclairés peuvent devenir victimes d’illusions dont quelques-unes ne sauraient résister au plus superficiel examen, il faut toujours se souvenir que le socialisme étant une religion beaucoup plus qu’une doctrine tous les arguments tirés de la raison ou de l’expérience sont nécessairement sans action sur lui. Le socialiste convaincu croit à la bible de Karl Marx comme le Musulman croit au Coran. Les assertions de ces livres sacrés ne se discutent pas.
Sans doute, le nombre des purs croyants du socialisme dans les assemblées politiques reste minime, mais leur puissance est grande parce qu’une conviction forte s’impose toujours à des convictions faibles et surtout à l’absence de convictions. Or, les socialistes sont presque les seuls, en France du moins, possédant des convictions fortes.
Les éléments mystiques qui forment la trame du socialisme se trouvent puissamment étayés par deux sentiments extrêmement actifs : la haine et l’envie. Ils constituent ses grands agents de propagation.
On peut pressentir le rôle futur du socialisme par l’influence qu’il exerce déjà.
Nous sommes presque les seuls à ne pas pressentir de quel menaçant avenir la croisade socialiste est chargée. Quand les peuples n’auront plus qu’à opter entre le socialisme dont la Russie voit les effets et le militarisme, c’est-à-dire entre la tyrannie inorganique et la tyrannie organisée, ils choisiront forcément la seconde. Ce sera alors le règne absolu de la force et l’arrêt définitif de tous les progrès.
C’est ce qu’a très bien montré un des chefs les plus écoutés des travaillistes anglais, M. Henderson :
« Les ouvriers doivent comprendre, a-t-il dit, que les démocrates du monde entier sont à un carrefour, et que toute erreur dans le choix à faire peut conduire à l’anarchie, au désordre, au chaos, avec l’établissement du militarisme à perpétuité. Nous nous détournons du chemin qui conduit au désordre : nous ne pouvons pas être pour la substitution de la raison à la force dans les affaires internationales, et pour la révolution par la force au lieu de la construction pacifique dans la vie économique et sociale. »
Internationalistes, socialistes unifiés, bolchevistes et autres théoriciens, partisans de la paix entre les peuples, mais de la guerre civile à l’intérieur des nations, ne sauraient comprendre ce dilemme. Ils ont entrepris contre les sociétés une croisade aussi funeste que celle des Germains contre l’indépendance des peuples.
Au prix des plus cruels sacrifices nous sommes arrivés à triompher de la croisade germanique. Il sera peut-être aussi difficile de vaincre la croisade socialiste.
Deux régimes redoutables : militarisme et socialisme menacent donc les civilisations modernes d’un retour prolongé vers la barbarie. Le militarisme est une forme de l’absolutisme féodal, le socialisme représente l’ultime expression du despotisme populaire. Les nations vraiment civilisées ne voudront bientôt plus de dictature, ni celle du prolétariat, ni celle du sabre.