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X... Roman impromptu

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GEORGE AURIOL

XVI
CHEZ LE MYRE OTHON

चित्ते निवेश्य परिकल्पितसर्व्वयोगाः
रूपोच्चयेन विहिता मनसा कृता नु ।
स्त्रीरत्नसृष्टिरपरा प्रतिभाति सा मे
धातुर्विभुत्वमनुचिन्त्य वपुश्च तस्याः ॥

En vertu de quelle puissance occulte cette carte de visite adhérait-elle au bois de la porte ? C’est ce que nous ne saurions dire.

Aucun clou, aucune vis, aucune punaise.

Et pourtant cette carte était fixée à la porte aussi solidement, aussi étroitement que le coquillage au rocher.

A l’aide d’une planche de cuivre gravée en creux, les mots suivants avaient été imprimés sur ce bristol :

OTHON
Myre, Mage et Théosophe

X… ayant frappé, la porte s’ouvrit. Un homme parut dont la barbe était noire, la voix blanche et les cheveux poivre et sel.

Il demanda :

— Qui êtes-vous ?

— Je suis X…

— Que faites-vous ?

— Je suis quidam…

— Entrez !

La pièce dans laquelle X… pénétra était spacieuse, haute de plafond, comme la plupart de celles qui composent les appartements de la place Royale.

Une énorme bibliothèque, farouchement voilée de vert, occupait le fond de cette salle. Près de la bibliothèque, une momie se dressait dans sa gaîne de carton bariolé :

C’était celle d’Achbar, chef des scribes d’Amenhotpou Ier — ce flambeau de la dix-huitième dynastie.

Aucun crâne sur les crédences, nul fémur, pas de chats rôdeurs ni de miteux hiboux empaillés au sommet des vieux bahuts.

Pas de vieux bahuts, du reste. Aux murs, seulement, quelques lithographies d’Odilon Redon.

Le mage présenta un fauteuil à X… et parla de nouveau :

— J’ai beaucoup entendu parler de vous aux mercredis matins de la comtesse de Zélande, dit-il, et je serais heureux de connaître le but de votre visite. Que puis-je faire pour vous être agréable ?… La belle Otero…

— J’estime profondément, répondit X…, l’éminent homme du monde que vous êtes, mais c’est particulièrement avec le mage que je souhaiterais m’entretenir.

L’illustre Othon enleva rapidement le ruban violet dont s’adornait sa boutonnière et :

— Le kabbaliste vous écoute, fit-il. Tournez votre visage vers l’ouest, ouvrez légèrement la pointe du pied droit et parlez sans crainte. De quoi s’agit-il ?

— D’une affaire de la plus haute importance.

— Quelle hauteur ?

— Quatorze millions.

— Bien. Bourse, courses, rapt, vol ou héritage ?

— Héritage.

— Bon ! Que voulez-vous connaître ? L’endroit où le testament a été caché ? l’arbre au pied duquel il faut creuser pour le découvrir ?

— Non. Je n’ai sur cette succession aucun indice. Tous les renseignements sont détenus par un individu que je ne connais pas et que j’ai rencontré aux courses d’Auteuil. Il m’a donné rendez-vous au café du Théâtre. Or il y a à Paris soixante-six cafés du théâtre… Je désirerais savoir duquel il est question.

Ayant ainsi parlé, X… se mit à explorer fiévreusement les poches de sa redingote.

— Que cherchez-vous ? demanda Othon.

— Vous le savez bien, puisque vous êtes mage !

— Oui, je le sais ; je ne vous le demandais que pour voir si vous me répondriez franchement, au lieu d’obéir à un imbécile sentiment de politesse…

— Vous êtes trop aimable, vraiment… Eh bien, oui, je cherchais un cigare… mais je n’en ai plus… Lorsque je ne fume pas, je suis le plus malheureux des hommes… Auriez-vous, par hasard…

— Je ne fume pas, répondit Othon : mais il est facile de tout arranger. La lévitation est une force en vertu de laquelle je puis m’élever, moi, mage de première classe, à une hauteur de huit mètres. La moitié de cela suffirait, attendu que le but à atteindre n’est situé qu’à trois mètres cinquante du parquet.

Avec l’aisance cappazzéenne d’un ballon rouge délivré de son fil, le mage s’enleva. Son crâne fit un petit bruit en heurtant le plafond ; mais il ne s’en inquiéta pas. Il prit sur la corniche de la bibliothèque un mince paquet blanc et redescendit.

Le paquet était ployé « selon la formule » et contenait des graines. Il les jeta négligemment dans un vase de Chine plein d’humus et prononça quelques paroles inintelligibles.

— Les fakirs des vallées du Gange et de la Djamma se figurent avoir le monopole de la végétation spontanée, fit-il ! mais voyez donc !

X… regarda, et, à sa grande stupeur, il vit sortir du vase de Chine un superbe pied de tabac.

Incontinent, la plante se mit à grandir et à fleurir ; puis, de verte qu’elle était, elle devint brune et légèrement se recroquevilla comme sous l’action d’un soleil torride.

Othon arracha à la solanée sa plus large feuille, la roula sur son genou et la présenta à X… en disant :

— Fina flor de la Vuelta Abajo, mon cher ! Goûtez-moi ça et vous m’en direz des nouvelles !

X… alluma le cigare et le déclara exquis.

— Ce n’est pas tout ça, reprit alors Othon ; nous disions donc qu’il s’agissait de découvrir ce vieux café du Théâtre ! Or il est indispensable qu’avant de me mettre en communication avec les esprits, je me livre à quelques petites ablutions. Vous permettez…

— Mais, comment ! faites donc… Désirez-vous que je me retire ?

— Nullement ! C’est inutile. J’ai là le fac simile exact de l’anneau de Gygès… Je vais le mettre et, par conséquent, me rendre invisible. Tenez, ça y est !

— Époilant ! fit X…

— Époilant, non ! répondit l’imperceptible Othon, époilant non, mais pas ordinaire, pourtant ! Enfin, chacun son métier, n’est-ce pas ?…

— Sans doute !

— Tandis que vous achèverez votre cigare, mon cher X…, je vais enlever mes vêtements et me purifier dans l’eau boriquée. Ensuite, je me débarrasserai également de mon corps comme d’un importun paletot. Mon âme, n’étant plus alors vêtue que de son peresprit (ou, si vous le préférez, de sa flanelle spirituelle), se trouvera alors dans les conditions requises pour correspondre avec les puissances de l’Au-Delà. Ne vous impatientez pas : j’en ai à peine pour cinq minutes…

Le myre n’avait pas menti. X… distingua parfaitement le bruit de l’eau remuée dans un vaisseau de zinc, puis la chute sourde d’un corps sur le parquet.

Au bout de quelques instants, il entendit un clair petit bruit argentin ; une sorte de grosse bague roula parmi les bibelots de la cheminée, et Othon s’offrit de nouveau à sa vue.

— Voilà qui est fait, dit-il, en s’ébrouant avec cette jovialité particulière à l’homme qui sort de son tub ; voilà qui est fait ; le temps de passer ma robe de pourpre maintenant, et je suis à vous.

Il disparut dans un grand placard, et à peine y était-il qu’il se mit à hurler comme un âne dont on taquine le fondement avec un fer rouge.

— Qu’avez-vous ? interrogea X…, effrayé.

— Oh ! rien ! répondit le théosophe, rien ! Il fait tellement noir là-dedans que je me suis encore trompé…

Il rentra dans la salle, vêtu d’une longue tunique rouge.

— Figurez-vous que j’avais endossé par erreur la robe de Nessus, dit-il. Vous voyez ça d’ici, comme j’étais à mon aise…

Puis, consultant sa montre :

— Eh eh ! reprit-il, sept heures déjà ! Il s’agit de ne pas nous amuser maintenant. Voilà le bouton. Faisons l’obscurité, et en avant ! Prenez ma main. Bien ! Asseyez-vous là. Parfait ! Maintenant, appuyez ces deux disques contre vos oreilles…

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda X…

— C’est un téléphone astral, répondit le myre Othon. Vous pouvez actuellement questionner les esprits au sujet de votre fameux café du Théâtre… Allez ! vous êtes en communication avec Jules César.

— Hallo ! allo ! cria une voix grêle.

— Hallo ! allo ! répondit X…

Hallo ! (Dri-dri-dri-dri-dri.)

— Hallo !!!… Je suis bien en communication avec Jules César, n’est-ce pas ?

— Oui, parfaitement. Qu’est-ce que vous désirez ? Un exemplaire de mes Commentaires ? Je n’en ai plus : j’ai envoyé le dernier ce matin à Sarcey… Allo !

— Hallo ! Non, mon cher maître, ce n’est pas cela… Un simple renseignement… Vraiment, je suis confus… Hallo ! Pourriez-vous me dire où se trouve certain Café du Théâtre…

— Le Café du Théâtre ?

— Oui.

— Comment voulez-vous que je sache cela ? Je ne vais jamais au café… Demandez cela à Bonaparte : il vous dira ça, lui !

— Vous êtes en communication avec Napoléon Ier, dit Othon.

— Basta ! cria la voix grêle, qu’est-ce que c’est encore ? Hallo ! hallo ! Encore un magazine américain qui me demande la collection complète de mes portraits ?

— Non, sire, pardonnez-moi. Je voudrais simplement savoir où est situé le Café du Théâtre… Jules César prétend qu’il n’y a que vous qui puissiez…

— Jules César ! Jules César ! En voilà un fourneau ! Basta ! De quoi se mêle-t-il encore, celui-là ? Demandez ça au père Baedecker et fichez-moi la paix !

— Vous êtes, dit le mage, en communication avec Baedecker l’Ancien.

— Hallo ! fit la voix de Polichinelle.

— Hallo ! fit X… Est-ce à Baedecker l’Ancien…

— Oui.

— Un homme m’a donné rendez-vous au Café du Théâtre. Où est-ce ?

— Où avez-vous vu cet homme ?

— Aux courses de Longchamp.

— Tribune ou pesage ?

— Pelouse.

— Brun, rouge ou blond ?

— Brun.

— Souliers de bains de mer ?

— Oui.

— Casquette de loutre ?

— Oui.

— Je sais qui c’est. Cet homme est Gaspard le Book. Du hideux accouplement de 4 et de 7 est né 28 l’infâme. 28 a égaré Gaspard, et c’est pourquoi vous ignorez ce que vous devriez savoir. En d’autres termes, Gaspard vient de faire ses vingt-huit jours, et c’est ce qui le rend si écervelé. Gaspard, en vous quittant, a pris l’express de six heures. Il n’a oublié qu’une chose : c’est de vous dire où il allait. Le Café du Théâtre, où il vous a donné rendez-vous, se trouve près du boulevard extérieur, au milieu de la rue Germain-Pilon.

....... .......... ...

Ce dernier mot achevait à peine d’impressionner le tympan de X… que déjà l’obscurité avait cessé dans le local du mage.

Celui-ci était assis près de son nouvel ami. Il souriait, et la modeste violette académique avait reparu sur le revers sénestre de son vêtement.

— Vous êtes content ? dit-il.

— Enchanté, mon cher mage. Mais, dites-moi, combien vous dois-je ?

— Absolument rien ! Je suis trop heureux de vous avoir été agréable… Seulement, ajouta-t-il en reconduisant X…, seulement, j’espère bien que vous ne m’oublierez pas lorsque vous aurez palpé les quatorze millions.

— Comptez sur moi, répondit X…

Et il descendit l’escalier quatre à quatre.

P.-S. — Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que la gomme arabique est soluble dans l’eau. Le myre Othon, qui avait à sa disposition plusieurs onces de cette précieuse matière, en avait sans doute fait fondre une certaine quantité. Et, qui sait ? peut-être s’était-il servi de cette composition pour coller la carte de visite sur le panneau supérieur de sa porte ?

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