X... Roman impromptu
AVERTISSEMENT
Au roman qui suit, quelques mots d’explication sont nécessaires. Il est temps de dire aux lecteurs ce qu’est l’X…, roman impromptu par les humoristes G. Auriol, Tristan Bernard, Courteline, Jules Renard et Pierre Veber.
Les humoristes ci-dessus (dont l’éloge n’est plus à faire, puisqu’ils s’en sont chargés à plusieurs reprises), ces humoristes pensèrent qu’il serait bon de relever le niveau littéraire des lecteurs de romans. Ils imaginèrent d’écrire en collaboration un roman dit impromptu, sans plan préconçu, sans sujet arrêté. Le Gil Blas voulut bien accueillir cette tentative, qui n’a d’autre précédent que la Croix-de-Berny.
Il fut convenu que l’on tirerait au sort les noms des cinq auteurs, afin d’établir l’ordre dans lequel ils se succéderaient ; chacun devait écrire un feuilleton faisant suite à celui qui le commandait. Le premier de la liste donnerait le titre du roman et le personnage qui, seul, fût invulnérable (précaution qui assurerait un semblant d’unité à l’œuvre).
Le sort établit la liste suivante :
- PIERRE VEBER
- JULES RENARD
- TRISTAN BERNARD
- GEORGES COURTELINE
- GEORGE AURIOL
Le roman devait comprendre 30 à 35 feuilletons. Chaque feuilleton serait signé. Toute modification des personnages était autorisée, sauf la modification de sexe. Il était permis de tuer ceux qui déplaisaient (à l’exception de X…). Il était également permis d’en introduire d’autres, même s’ils ne prenaient aucune part à l’action. Ladite action pouvait être transportée dans toutes les parties du monde ; en pareil cas, il importe de prévenir le lecteur, qui ne se méfierait pas, par quelques phrases explicatives.
Donc, résumons nos intentions : Nous avons voulu faire du roman-feuilleton une chose purement mécanique, simplifiant la besogne par la division du travail. En même temps, la coopération au travail, ainsi qu’aux bénéfices, éminemment socialiste, est d’un exemple excellent pour nos confrères. Nous espérons que notre tentative aura contribué du moins à ranimer l’esprit de corps, qui tend à disparaître de plus en plus chez les littérateurs. Il se peut que le roman ainsi composé soit d’une sottise navrante ; il se peut (et nous le souhaitons) qu’il soit, au contraire, d’une gaieté parfaite ; il aura du moins l’attrait de l’imprévu aussi bien pour nos lecteurs que pour nous-même.
Pierre Veber.
(Paris, 1895)