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X... Roman impromptu

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TRISTAN BERNARD

IV
A LA RECHERCHE D’UNE AME SŒUR

Nous avons laissé le capitaine à la porte de la maison. Il tombait une pluie si dense que la rue semblait un vaste aquarium. Heureusement, un cheval, son cocher et un fiacre ruisselants vinrent à passer devant l’officier, qui les héla pour se mettre à l’abri. Mais, une fois dans la voiture, il hésita longuement sur l’adresse à donner.

Pendant la scène de rupture, il n’avait eu qu’une pensée en tête. Ce n’était pas une pensée de vengeance, car ce capitaine avait une grande âme généreuse. Ce n’était pas non plus une idée de raccommodement possible, car il était fier autant que brave. Non : il se disait simplement : « Dans un instant, j’aurai rompu toute attache avec Mme X… et je pourrai aller voir les filles. »

Car ç’avait été pendant de longues années le désir toujours inassouvi de cet homme timide et bon. Marthe, avec sa tendresse, le tenait en des chaînes étroites. Si bien cachées qu’eussent été ses fredaines, elles n’eussent point échappé, selon lui, à cette douce compagne, et la crainte d’être soupçonné immobilisait le vieil homme de guerre, lui que rien pourtant n’avait jamais effrayé dans sa rude carrière d’officier d’habillement.

Il était toujours perplexe, quand, se disant tout à coup qu’il ne pouvait quitter ainsi, sans un mot d’adieu, l’infidèle, il donna au cocher l’adresse du Grand-Hôtel, où il savait trouver un bureau télégraphique encore ouvert.

Et il brouilla de ces lignes fébriles le calme azur du petit bleu :

« Madame,

« Je n’ajouterai aucun commentaire à ce qui s’est passé tout à l’heure. Veuillez faire descendre demain, à la première heure, chez votre concierge, les six chemises qu’on m’a livrées jeudi dernier, toutes mes bottines, mon costume neuf et la photographie de ma mère.

« Léon. »

Puis il dit au cocher :

— 90, rue Saint-Georges.

C’était là qu’il avait connu jadis une jeune femme, Mlle Ferdinande, et un hasard lui avait appris, trois ans auparavant, qu’elle demeurait toujours à la même adresse.

Rue Saint-Georges, à l’entresol, deux fenêtres étaient faiblement éclairées. Le capitaine gravit les vingt marches dans l’escalier sombre et sonna à la porte de droite. Il sonna deux fois, trois fois, quatre fois. A la fin, des pas glissèrent derrière la porte, qui ne s’ouvrit point, et une voix cria :

— Qui êtes-vous ?

Il dit son nom.

La voix demanda :

— Est-ce pressant ?

Et comme le capitaine, interloqué, ne répondait pas, la voix continua :

— Le docteur est malade. Il ne peut pas se déranger.

Et les pas s’éloignèrent.

Le capitaine jeta une nouvelle adresse au cocher : 76, rue de Trévise. Chemin faisant, il scrutait toutes les boutiques encore ouvertes, épiant les doubles fonds possibles. Mais rien d’assez précis ne pouvait lui permettre une démarche quelconque.

Rue de Trévise, la maison était sombre. Toutes les fenêtres dormaient. Le capitaine n’osa monter, crainte d’une méprise nouvelle.

Alors il acheta un journal et consulta les petites annonces équivoques de la dernière page : Madame Paddy, leçons d’anglais, 39, rue Montholon. A l’adresse indiquée, au troisième étage, il y avait une fenêtre éclairée. Le capitaine monta au troisième. Après le premier coup de sonnette, un vieillard vint lui ouvrir.

— C’est bien ici que demeure Mme Paddy ?

— C’est bien ici ; mais que voulez-vous ? demanda le vieillard avec un fort accent allemand.

— Je désirerais prendre une leçon d’anglais.

— Ce n’est pas l’heure. Mme Paddy est en train de se coucher.

— Raison de plus, fit observer le capitaine.

Sans comprendre, le vieillard alla prévenir Mme Paddy. Le capitaine, ému, attendait dans un petit salon. Mme Paddy apparut enfin, avec des tire-bouchons gris aux tempes et un peignoir usé.

— Faites-moi donner une leçon d’anglais, dit le capitaine, avec une impatience toute militaire.

— Je vous en donnerai moi-même, dit la vieille dame ; mais le matin, de neuf heures à midi, et, l’après-midi, de deux à sept heures.

— Ah ! fit le capitaine, vous donnez vraiment des leçons d’anglais ?

— A votre disposition, dit la vieille dame. Venez demain à neuf heures.

— Je vous remercie, dit sèchement le capitaine. Je sais parfaitement l’anglais.

Il ajouta, furieux :

— On n’annonce pas qu’on donne des leçons d’anglais quand on donne véritablement des leçons d’anglais.

Et il s’en alla, laissant les deux vieillards un peu surpris.

Le capitaine, en remontant dans sa voiture, était fort désappointé. De guerre lasse, il résolut de se rendre dans une maison publique.

Il se rappela qu’il avait passé jadis des moments assez convenables dans une petite maison plate, sise au coin de la rue de Steinkerque et du boulevard Rochechouart. Il donna cette adresse au cocher. « J’aurais dû commencer par là », se dit-il avec satisfaction, durant que la voiture montait péniblement la rue Rochechouart. Elle prit la rue Turgot, traversa la place d’Anvers et le boulevard extérieur et s’arrêta devant une maison neuve, de belle apparence. La petite maison avait grandi depuis qu’on ne l’avait vue.

En revanche, le numéro avait rapetissé dans de notables proportions. Le capitaine entendit le cocher qui riait dans sa barbe.

— Il est démoli ! disait cette brute, il est démoli depuis deux ans.

Vexé, le capitaine paya sa voiture et s’en alla au hasard, sur le boulevard extérieur. La pluie avait cessé. Des ombres passaient sous les tristes réverbères.

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