Deux années en Ukraine (1917-1919): avec une carte de l'Ukraine.
L’Ukraine veut rester fidèle à l’Entente
Tout le monde espère que l’Ukraine va pouvoir enfin se livrer en toute tranquillité aux deux missions qui lui incombent: travailler à l’organisation de son Etat et soutenir le front du Sud-Ouest, ainsi qu’elle le fait depuis la dernière offensive allemande du mois de juillet.
Il n’en devait rien être.
Dès le début de décembre, la France et l’Angleterre envoient leurs représentants près du Gouvernement de la nouvelle République, et peu après s’engagent des pourparlers d’abord officieux, puis officiels. Désireux de contrecarrer les pourparlers de paix qui venaient de commencer à Brest-Litovsk entre les Austro-Allemands et les Maximalistes, le général Tabouis, ancien attaché à l’Etat-Major russe du front Sud-Ouest, récemment nommé commissaire de la République Française en Ukraine, fait des avances au Secrétariat général ukrainien.
La capitale ukrainienne organise une jolie manifestation en l’honneur des missions militaires françaises et anglaises que les pourparlers russo-allemands ont obligées de quitter le front et qui viennent à Kiev demander au gouvernement de Vinnitchenko de continuer la guerre contre les puissances centrales. Les troupes ukrainiennes et le gouvernement les reçoivent officiellement.
Quelques jours après, la Rada centrale de Kiev publie un manifeste, constatant que depuis un mois qu’il est au pouvoir, le gouvernement des Soviets s’est montré incapable de gouverner, qu’il a amené partout la désorganisation, l’anarchie et la désagrégation du front; qu’enfin lâchement il vient de signer l’armistice. L’Ukraine se refuse à une telle lâcheté et à une telle traîtrise envers les Alliés.
En même temps, MM. Petlioura et Vinnitchenko déclarent à M. Pélissier, l’envoyé officiel de M. Noulens à Kiev, que les régiments ukrainiens combattront jusqu’au bout aux côtés des Alliés, mais que vu la décomposition croissante de l’Etat russe, il y aurait nécessité pour les Alliés d’aider l’Ukraine à s’organiser en Etat indépendant avec une armée nationale pour continuer la guerre contre l’Allemagne et empêcher l’anarchie de s’étendre. Ces déclarations furent publiées, à cette époque, en France, dans l’Information, en Russie, dans le Journal de Petrograd. A l’histoire de dire pourquoi l’Entente ne crut pas devoir seconder ces bonnes volontés.
Toujours à la même époque, le général Tabouis, ayant réuni au Consulat français les membres de la colonie française, donne l’assurance aux timorés que si les Allemands ou les Bolchevistes n’arrivent pas à Kiev avant un mois, le front ukrainien défiera tous les coups qui pourront lui être portés, que les soldats ukrainiens sont admirables de bravoure et de patriotisme.
Malheureusement, deux tendances commencent à se manifester au sein du secrétariat général.
Quelques secrétaires, bien qu’ententistes, estiment impossible pour l’Ukraine de continuer la guerre contre les Empires centraux. Les Bolcheviks ont en effet désorganisé l’armée qui déserte le front, brûlant et pillant tout sur son passage, et l’Ukraine n’a pas l’armée nationale que ses représentants ne cessent de demander, le regroupement des forces ukrainiennes sur le territoire de l’Ukraine n’ayant jamais été admis par le Grand Quartier Général Russe, ni par le Gouvernement de Petrograd. M. Vinnitchenko demande alors aux Alliés d’aider l’Ukraine à se mettre à l’abri de l’invasion étrangère, à se défendre contre les Bolcheviks et à organiser son armée nationale. Il manifeste en même temps le désir de voir reconnaître par l’Entente le Secrétariat général comme gouvernement actuel de l’Ukraine.
M. Galip, membre influent du parti Jeune Ukrainien et à ce moment-là directeur des Affaires politiques au Secrétariat des Affaires Etrangères, dépense une activité fébrile pour aboutir entre l’Entente, et surtout la France et l’Ukraine, à un accord qui permettrait à cette dernière de continuer la guerre malgré les obstacles qui surgissent de toutes parts.
M. Petlioura, secrétaire de la guerre, appuyé par le groupe Jeune-Ukrainien, auquel sont affiliés tous les officiers de l’Etat-Major du Secrétaire de la Guerre, le Commandant des troupes de Kiev et son Etat-Major, se déclare prêt à continuer jusqu’au bout la lutte contre l’Allemagne, non avec les troupes du front qui sont en pleine dissolution, mais avec une armée de 500.000 francs-cosaques, qui pourrait être recrutée parmi les paysans désireux de défendre leurs terres.
Pour montrer sa bonne volonté à l’égard des puissances de l’Entente, il refuse de reconnaître Krylenko comme généralissime de l’armée russo-ukrainienne, en remplacement du généralissime russe Doukhonine, assassiné à la Stavka de Mogilev par les Bolcheviks; il proclame front ukrainien le front qui s’étend de Brest-Litovsk à la frontière roumaine et en confie la défense au général Cherbatchef, jusqu’alors général en chef du front sud-ouest et signe l’ordre de désarmement général des Bolcheviks à Kiev et sur tout le territoire de l’Ukraine.
C’était le signal de la guerre entre l’Ukraine et les Bolcheviks, cette affreuse guerre qui n’est pas encore terminée à l’heure actuelle.