Deux années en Ukraine (1917-1919): avec une carte de l'Ukraine.
Skoropadsky et l’Entente
Le 13 novembre, les journaux de Kiev annoncent qu’un armistice vient d’être conclu sur le front français.
Aussitôt, sur la demande du Consul du Danemark et des partis ukrainiens, les portes de la prison de Lukianovka s’ouvrent pour rendre à la liberté les détenus politiques, parmi lesquels se trouvaient plusieurs Français et quelques membres de la Rada, internés plusieurs mois auparavant par les Allemands.
Le Hetman Skoropadsky, jusque là germanophile convaincu, change de politique et devient francophile très ardent. Il forme un nouveau cabinet et remplace au Sous-Secrétariat des Affaires Etrangères le bureaucrate russe Paltof, instrument des Allemands en Ukraine, par M. Galip dont les sentiments francophiles sont connus de tous et dont toute l’activité, au cours des derniers mois, s’est dépensée à susciter des obstacles à l’occupation allemande. Espérant avoir mis par ce changement la politique de l’Ukraine d’accord avec les vœux de l’Entente, il envoie des missions diplomatiques à Jassy, près de la Commission interalliée et à Odessa, près de M. Henno, représentant des Alliés sur les bords de la Mer Noire.
La presse au service du Hetman reçoit l’ordre d’entonner l’hymne aux Alliés et plus particulièrement à la France: ce fut chaque matin le dénombrement des navires de guerre qui paraissaient à l’horizon, à la sortie du Bosphore, et des divisions anglaises et françaises qui débarquaient à Novorossiisk, à Sébastopol et à Odessa, des divisions roumaines et polonaises qui se massaient aux frontières de l’Ukraine pour la défendre, d’une part contre les «bandes» de Petlioura qui s’avançaient de la Galicie et les «bandes» lettonnes et chinoises au service des Bolcheviks russes, qui venaient de l’Est et du Nord-Est.
En même temps, l’armée des Volontaires se compte et fait des enrôlements, réquisitionne édifices, vêtements, chaussures et aliments et bientôt décrète la mobilisation générale, d’abord de la jeunesse des Universités et des Gymnases, puis de toute la jeunesse du pays non encore occupé par l’armée de Petlioura.
Le premier décret fait des mécontents parmi les étudiants qui projettent de se réunir à l’Université pour étudier la situation. La réunion est interdite. Sans tenir compte de cette interdiction, les étudiants et les étudiantes forment un cortège et veulent se rendre par Bibikovski Boulevard à l’Université Saint-Vladimir, mais un groupe de volontaires à cheval accourt et sans sommation aucune, tire sur le cortège. Bilan de la journée: quatorze morts dont trois cursistes (étudiantes) et une trentaine de blessés.
Le second décret affecte surtout la population israélite qui manifeste son mécontentement en fermant ses magasins, en boycottant les valeurs russes et, autant qu’elle le peut, en faisant filer les jeunes gens à Vienne et à Budapest, les seuls endroits encore accessibles aux voyageurs venant de l’Ukraine.
On annonce officiellement que des missions militaires alliées vont arriver à Kiev et que M. Henno viendra s’établir près du Hetman. On réquisitionne l’hôtel Continental (encore habité par des Allemands) pour héberger les missions, et deux étages d’une maison sise rue Luteranskaia, no 40, pour M. Henno. Il convient aussi de bien loger les nombreux soldats français qui vont arriver: alors on réquisitionne les théâtres, les salles des cafés-concerts et les cinémas; pour les recevoir comme ils le méritent, des comités s’organisent, des souscriptions sont ouvertes et le Ministère des Affaires Etrangères informe par la voie des journaux qu’un personnage officiel a été désigné pour élaborer avec le concours des comités le programme de la réception, d’abord du Consul M. Henno, puis du Général Franchet d’Esperey et de son Etat-Major, des Etats-Majors alliés, enfin des troupes françaises, anglaises, roumaines, italiennes et polonaises qui «viennent soutenir l’armée des Volontaires contre les troupes de Petlioura et celles des Bolcheviks».
La Colonie française ne veut pas rester en arrière. Elle ouvre une souscription et aussitôt chacun se met à l’œuvre pour que la réception des poilus soit le plus grandiose possible: l’argent afflue, des drapeaux, des fleurs, des guirlandes sortent des doigts diligents de toutes les Françaises.