Deux années en Ukraine (1917-1919): avec une carte de l'Ukraine.
Kiev sous le régime des Soviets
Qui avait mené si brillamment cette attaque? Le Colonel Mouraviof, le vainqueur de Petrograd et de Moscou et à ce moment commandant en chef des troupes révolutionnaires. Jeune, intelligent, mais dur et cruel, il fit impitoyablement fusiller tous les officiers ukrainiens ou polonais: ces derniers venaient de s’emparer de la Stavka de Mogilev et accouraient délivrer Kiev.
Ancien policier, le colonel parle en maître. Sa fortune est grande grâce aux contributions dont il frappe les habitants de chaque ville dont il s’empare. A Kiev, le bijoutier Marchak doit payer 180.000 roubles. Galperine, un riche raffineur, 300.000. Radzivill, 100.000. La ville elle-même doit verser dans les trois jours dix millions. Mais la banque d’Etat n’a que 225.000 roubles en caisse. Les principaux actionnaires et les gros clients devront donc payer en chèques qui s’ajouteront à leurs taxes personnelles. Le soir, le colonel, confortablement installé dans le meilleur hôtel de Kiev, boit ferme en compagnie de son Etat-Major.
Très vite l’ordre est rétabli dans la ville, mais la terreur commence à régner. Le sinistre tribunal s’est installé dans l’ancien palais impérial. Une salle contient les prisonniers, pauvres diables d’officiers porteurs de laissez-passer ukrainiens. L’on juge rapidement. Toute défense est inutile. Une seule peine, la mort. On déshabille les condamnés, on les revêt d’une capote de soldat et devant le Palais même on les fusille à la mitrailleuse. J’ai vu de mes yeux fusiller deux généraux et une vingtaine d’officiers dans l’espace d’une demi-heure. Des camions automobiles chargent les morts, tous frappés à la tête, et les emportent au jardin du Tsar où est creusée une fosse large mais peu profonde. Plusieurs jours après les dernières exécutions, en se promenant dans le jardin, l’on pouvait voir à terre de nombreuses cervelles. 2.300 peines de mort sont prononcées par le sombre tribunal.
Pour empêcher le massacre de leurs nationaux, les Polonais se déclarent neutres et abandonnent la lutte.
Vis-à-vis des Français, le colonel est peu bienveillant. Il prétend que les officiers des missions sanitaires ou d’aviation n’ont pas été rigoureusement neutres et recommande aux militaires de ne pas bouger, autrement les Français civils paieront pour eux.
Des perquisitions sont opérées en masse. On cherche les officiers qui se cachent encore et l’on saisit toutes les armes. En ville que de dégâts! Des maisons éventrées, des vitres partout brisées, des devantures de magasins criblées de balles, des fils des télégraphes et des tramways pendent lamentablement et donnent un aspect sinistre. Le ravitaillement devient difficile. Les Bolcheviks ayant taxé les denrées, les paysans se refusent à venir en ville: plus de beurre, plus de viande, du pain noir fait avec de la farine de pois chiches.
Dans les rues, de sinistres têtes de marins et de sœurs de charité, terribles et impressionnantes apparitions. Elles sont typiques ces sœurs, parfois en culottes, le revolver à la ceinture, servant aux unes à achever les blessés, aux autres à faire le coup de feu pendant la bataille.
Quelques jours plus tard, l’on fait aux Bolcheviks des funérailles grandioses: 450 corps couchés dans de noirs cercueils, suivis d’un immense cortège, drapeaux rouges et noirs en tête. Pas un Pope. Beaucoup de bières ouvertes suivant la coutume orthodoxe. De pauvres mères embrassent le cher visage du mort et se frappent le front contre les cercueils.