Deux années en Ukraine (1917-1919): avec une carte de l'Ukraine.
L’Ukraine n’est pas bolcheviste
Croire que les théories maximalistes ont trouvé le même écho chez le peuple ukrainien que chez le peuple russe, c’est une erreur profonde, et l’affirmer, tout simplement une calomnie monstrueuse.
Tout d’abord on peut dire que, d’une manière générale, le Bolchevisme recrute ses partisans, non dans les classes paysannes, mais dans la classe ouvrière, non dans les campagnes, mais dans les villes. Or, le peuple Ukrainien, personne ne l’ignore, est un peuple essentiellement agricole, 85 0/0 de sa population, c’est-à-dire 32.500.000 individus, s’occupent des travaux des champs et vivent à la campagne. Le pourcentage de la population urbaine est toujours en défaveur des Ukrainiens, et cela par suite de la conduite du gouvernement centralisateur de Moscou, qui a toujours empêché le développement industriel des nationalités englobées dans l’Empire russe et peuplé les villes d’une armée de fonctionnaires et d’une légion de commerçants envoyés de Petrograd et de Moscou. En Ukraine, la presque totalité des ouvriers est étrangère au peuple ukrainien.
C’est ce fait qui a permis aux adversaires des Ukrainiens de conclure, sur le seul pourcentage de la population urbaine, que le peuple ukrainien n’avait pas la majorité en Ukraine.
Or, du fait que seuls les ouvriers se sont, au début, enrôlés dans l’armée bolchevique, que d’autre part, les Ukrainiens sont surtout agriculteurs, il en résulte que ceux que l’on appelle bolcheviks ukrainiens sont en réalité des Bolcheviks étrangers à l’Ukraine.
Si au mois de février 1918, il s’est trouvé quelques Ukrainiens à accepter les théories maximalistes, c’est parce que la démobilisation de l’armée, faite brusquement et sans arrêt, a jeté sur le pavé bon nombre de démobilisés, qui, se trouvant sans travail et sans argent, ont été heureux d’obtenir dans les rangs bolchevistes un emploi peu absorbant et bien rémunéré.
D’autre part, fatigués par trois années d’une guerre terrible au cours desquelles ils avaient été privés de tout, même d’armes et de munitions, les soldats revenant des tranchées ne pouvaient être que très sensibles à la devise bolchevique: «Tout à tous», si pleine d’alléchantes promesses.
Ces Ukrainiens, néanmoins, se sont vite ressaisis, quand ils ont vu de près ceux qu’ils avaient pris pour des amis.
Lorsque les Bolcheviks russes ont quitté, en mars 1918, le territoire de l’Ukraine, il n’est pas resté en fait de bolcheviks que les ouvriers étrangers, lesquels, d’ailleurs, ont remis à plus tard la manifestation de leurs théories. Quant au paysan ukrainien, ayant plus que partout ailleurs le respect de la propriété individuelle, il a tout de suite compris que la terre qui lui avait été donnée sans bourse délier, et que quelquefois, entraîné par des meneurs, il avait enlevée à son légitime propriétaire, de lui-même, il l’a rendue avec tous les instruments aratoires détenus par lui. Contrairement au paysan russe, le paysan ukrainien ne se considère et ne se considérera jamais propriétaire d’une terre qui ne lui a pas été livrée par-devant notaire contre espèces sonnantes, par un acte dont il restera le détenteur.
Au début de 1919, quelques Ukrainiens se sont joints aux troupes bolcheviques, mais il faut avouer que l’Entente avait mis entre les mains des Bolcheviks russes une arme puissante pour répandre leurs théories parmi les paysans ukrainiens.
Les Français et les Grecs venaient de débarquer à Odessa dans le but d’appuyer les volontaires de Denikine. Quoi de plus facile aux agents bolcheviques répandus dans toutes les campagnes que de persuader aux paysans que ces étrangers venaient en Ukraine pour y recommencer les déprédations et les brigandages des Allemands, pour y détruire les libertés ukrainiennes, au profit de Skoropadsky ou de Denikine, c’est-à-dire du tsarisme tant abhorré. Seule une lutte dans les rangs des Bolcheviks pouvait faire triompher la cause ukrainienne.
Petlioura représenté sous des couleurs si sombres et même parfois comme l’allié de Lénine et de Bela-Kun, eut à combattre jusqu’au sein du Directoire l’idée que la République française venait renverser la République ukrainienne au profit de l’Empire russe et de la République polonaise.
Les paysans revinrent bien vite d’eux-mêmes à d’autres sentiments, quand ils s’aperçurent que les Bolcheviks russes, accompagnés de mercenaires chinois, n’étaient venus dans les villages ukrainiens que pour rafler leur bétail, voler les céréales, entasser tour ce qui était transportable dans des trains qui prenaient immédiatement la route de la Russie. Petlioura vit alors son étoile reprendre tout son éclat, et s’enrôler sous ses drapeaux le peuple tout entier. La révolte des paysans eut lieu sur tout le territoire ukrainien. A l’heure actuelle, l’idée bolcheviste n’a que des ennemis en Ukraine, et tout est mis en œuvre pour chasser du territoire le Russe qui l’y a apportée.