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Deux années en Ukraine (1917-1919): avec une carte de l'Ukraine.

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Encerclement de Kiev par l’armée de Petlioura

Dans ce ciel serein, des coups de canon se font tout à coup entendre: il paraît que Petlioura a réuni autour de lui des «bandes de pillards et de bandits»,—c’est ainsi que s’exprime la presse,—qui voudraient s’emparer de Boïarka. En réalité, ce sont les recrues qui ont répondu à la mobilisation décrétée par Petlioura et la Ligue Nationale. Autour de ce noyau, au fur et à mesure de son avance en Ukraine, les paysans se rassemblent pour combattre contre Skoropadsky. L’Ukraine presque toute entière est déjà reconquise par son «Libérateur», et ce n’est pas à Boïarka que le canon tonne, mais aux environs de Swetochine. L’encerclement de Kiev est d’ailleurs bientôt si total, que les paysans n’y entrent plus pour l’approvisionner.

Les aliments de première nécessité se vendent à des prix inconnus jusqu’à ce jour: le pain devient rare et vaut 3 roubles la livre de pain gris, 10 roubles le pain blanc, les œufs 38 roubles la dizaine, le lait 3 roubles le petit verre, la viande 7 roubles la livre, le beurre de table 80 roubles, le beurre de cuisine 50 roubles, et toutes ces denrées de première nécessité sont presque introuvables.

Le canon tonne de plus en plus fort, les mitrailleuses se mettent de la danse. L’émoi devient grand dans Kiev où chacun revit les heures sombres du bombardement des Bolcheviks. La presse, elle, est optimiste et le Hetman fait afficher sur les murs de Kiev, deux proclamations de M. Henno au peuple de l’Ukraine. Il y est dit que le Gouvernement français reconnaît l’Ukraine telle qu’elle est alors constituée, et qu’il fait confiance au Hetman et aux nouveaux ministres qu’il vient de se choisir.

Si elles ne sont pas apocryphes, ces deux proclamations laissent supposer que le Gouvernement de la République française condamne la République ukrainienne et ne veut voir à Kiev, comme dans le reste de la Russie qu’un seul Gouvernement, le Gouvernement monarchiste de Skoropadsky.

L’effervescence est grande en ville et les réflexions échangées entre les lecteurs très nombreux de ces placards, lecteurs appartenant à toutes les classes et à tous les partis, ne sont nullement en faveur du représentant de la France et, partant, de la France elle-même. Les Français qui vivent à Kiev depuis un certain nombre d’années, et qui de ce fait, sentent mieux que d’autres, aveuglés par leurs sympathies ou leurs intérêts, battre le cœur ukrainien, ceux qui ont vu la marche rapide du nationalisme de ce peuple, sont convaincus que leur gouvernement ou du moins son pseudo-représentant commet une lourde faute. Ils condamnent hautement celui qui se dit Consul de France à Odessa. Ni le ton, ni la forme de ces proclamations ne sont d’un républicain; le style ne peut être que d’un monarchiste, ou d’un républicain au service des intérêts monarchistes.

Les nombreux agents allemands ne manquent pas d’exploiter ce fait contre la France; ils s’en servent aussitôt dans les campagnes pour détruire dans le cœur des paysans la sympathie naissante pour les vainqueurs de la Marne et de Verdun. Aussi les Français, presque tous sympathiques au mouvement ukrainien, répandent sous le couvert du manteau que ces proclamations ne peuvent être rédigées que par le Hetman lui-même, afin d’étayer une cause déjà chancelante.

L’impression produite par ces deux proclamations diminuant un peu, un nouveau grand placard annonce aux habitants de Kiev, d’une phrase brève, mais en gros caractères, qu’Henno venait d’être nommé Consul de France à Kiev et que Franchet d’Esperey prenait le commandement des troupes françaises qui allaient opérer en Ukraine.


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