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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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MÉTHODE DE LA DISSIMULATION

Le mensonge n’est pas d’une essence sublime. Il n’est pas tout-puissant. En tout cas, pour avoir quelque vertu, il doit reposer sur une base de vérité.

Plaire aux femmes est un art comme la peinture ou la sculpture. Il y a une palette et mille couleurs. Il faut corriger la nature, mais il ne faut pas la déformer.

Chaque femme se fait un idéal de l’amant. Il convient de se conformer à cet idéal, d’augmenter certains défauts que l’on a naturellement, de se parer de certaines qualités que l’on n’a jamais eues. Mais il y a une mesure. L’imposteur de tous les instants est confondu à la fin. Puis, s’il pense sans cesse à son rôle, il ne jouit pas de la comédie.

Le problème, au début, est de savoir s’il faut laisser voir tout son amour, ou le cacher. Stendhal donne à Julien Sorel une pleine victoire sur mademoiselle de La Môle. A chaque mouvement de tendresse qu’il laisse échapper, correspond un mouvement de recul, de reprise d’elle-même, de la part de son orgueilleuse maîtresse. Il trouve assez d’empire sur lui-même pour lutter contre l’orgueil par un orgueil plus grand. Il est aimé précisément parce que, toutes les fois qu’il va s’abandonner, il a la force de dissimuler ses vrais sentiments ; quand il est sur le point de dire qu’il aime, il dit qu’il n’aime pas.

L’indifférence attire, mais elle éloigne aussi. Elle est comme ces poisons qui sont des remèdes à petite dose mais donnent la mort si on en abuse.

Stendhal dit du reste ailleurs : « Tout l’art d’aimer se réduit, ce me semble, à dire exactement ce que le degré d’ivresse du moment comporte, c’est-à-dire, en d’autres termes, à écouter son âme. »

Beaucoup de gens parlent comme ils croient qu’ils devraient parler. Ils dissimulent ainsi leur vraie personnalité. Ils plaisent moins.


Étant enfant, mes parents m’amenèrent pour la première fois à Paris visiter l’exposition de 1889. J’étais à cette époque dépourvu de toute curiosité. Je ne m’intéressai nullement à cette grande ville. Je regardai d’un œil morne les monuments qui me parurent sinistres de laideur. Je fus déçu de voir que Notre-Dame était une si petite église ; les magasins du Louvre et du Bon-Marché me parurent d’infimes magasins à côté de ce que je croyais qu’ils étaient ; les rues étaient obscures, les boulevards étroits. Je me mis à pleurer quand on voulut me faire pénétrer pour la seconde fois dans l’enceinte de l’exposition, tant la vue des pavillons exotiques, des nègres et des Chinois me paraissait dépourvue d’intérêt.

Je n’aimai véritablement que les bouquinistes et leurs étalages où je trouvai une variété inconnue en province et où je pus faire, avec mes petites économies, l’achat de maint volume que je désirais.

A mon retour, mon professeur au lycée, à l’estime duquel je tenais par-dessus tout, parce qu’il m’éveillait aux choses de l’esprit, me demanda ce que j’avais le mieux aimé à Paris. Je me troublai et, guidé par le sentiment stupide qu’il fallait penser comme les autres enfants de mon âge, je répondis que c’était le musée de marine, au Louvre. Or, j’étais passé dans ce musée de marine sans le regarder, mais deux de mes camarades qui avaient visité Paris avant moi m’avaient représenté ce musée, où il y a la reproduction en petit des navires de tous les temps et de tous les pays, comme la plus belle chose qui existât au monde.

Je fus puni par le haussement d’épaules de mon professeur qui murmura :

— Les enfants sont tous les mêmes !

Ainsi nous faisons faire souvent aux femmes cette réflexion désastreuse : « les hommes sont tous les mêmes ! » uniquement parce que nous nous sommes dissimulés nous-mêmes, que nous nous sommes enveloppés sous un voile de banalité.

Il faut se méfier du mensonge. C’est un traître. Il vous tend une main gantée de velours, il s’incline obséquieusement et il affirme qu’il va vous mener au but par un chemin obscur et détourné. On le suit et soudain il vous renverse pour vous mordre ou il vous jette dans un trou.

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